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intérêt à ceux-là mêmes qui n’adoptent pas le point principal de sa théorie et qui rejettent sa méthode. Elle a pour objet : 1o de déterminer la nature du laid dans sa généralité, 2o de le suivre à tous ses degrés et sous toutes ses formes dans la nature et dans l’art, depuis la plus élémentaire jusqu’à la plus élevée, et d’étudier son rôle dans les différents arts. C’est avec raison que l’auteur espère avoir comblé une lacune importante, « l’idée du beau n’ayant été, comme il le dit, traitée que d’une façon fragmentaire et trop générale pour être bien précisée et déterminée avec les développements qui lui conviennent et l’enchaînement de ses différentes formes. » (Préf. IV). A-t-il rempli sa tâche d’une manière complète et irréprochable ? Lui-même n’a pas cette prétention d’avoir épuisé le sujet et fait une œuvre à l’abri de toute objection. Les hégéliens lui reprocheraient, sans doute, de n’avoir pas été toujours correct, de n’avoir pas observé avec une parfaite rigueur les règles de la dialectique. Nous lui saurions plutôt gré s’il n’avait pas cru devoir si minutieusement la suivre jusque dans les plus petits détails où elle le contraint à bien des subtilités. Mais en somme, il faut convenir qu’il a rendu un véritable service à la science. Il a montré dans la manière de traiter son sujet beaucoup de sagacité, de finesse et d’esprit. Ses analyses sont intéressantes ; il sait les éclaircir par des exemples en général choisis avec discernement, quoique quelquefois trop empruntés à des œuvres médiocres de l’art et de la littérature contemporaine.

Nous laissons de côté une foule d’écrits plus ou moins estimables publiés en Allemagne sur le beau et l’art, et où l’on reconnaît plus ou moins la trace de la pensée hégélienne. Nous avons hâte d’arriver à l’œuvre capitale où non-seulement sont résumés et appréciés tous les travaux antérieurs, mais où toutes les questions principales de cette science sont de nouveau reprises, agitées et résolues selon la méthode et les principes du chef de cette école par un esprit original, à la fois versé dans toutes les matières qu’il traite et doué des qualités philosophiques nécessaires pour construire un véritable système.

L’esthétique de Th. Vischer[1], achevée en 1857, quoique depuis aient paru plusieurs ouvrages sur la science du beau et de l’art, est l’œuvre qui représente encore aujourd’hui le mieux l’état actuel de cette science en Allemagne. Ce n’est pourtant pas une de ces productions d’une grande originalité qui marquent une ère nouvelle ou fassent faire un grand pas à la science. Elle aussi ne fait que continuer l’esthétique de Hegel. On y reconnaît sur-le-champ l’esprit et la méthode du maître, ses idées principales, avec toutefois des allures

  1. Æsthetik, oder Wissenschaft des Schönen, 1846-1857, Leipsig.