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À ces causes physiologiques il faut ajouter des causes psychologiques, soit causes permanentes, soit causes accidentelles. D’une manière générale, la lenteur physiologique (qui, encore une fois, n’est pas forcément morbide, mais présente souvent des formes morbides) peut déterminer un alanguissement des fonctions psychiques, un ralentissement morbide des fonctions d’association, d’imagination, d’idéation ; affaiblissement du pouvoir idéo-moteur, trait caractéristique du type stagnant défini par M. R. Meunier : « l’être qui demeure et diminue sur place[1] ». — D’autres traits psychiques conditionnent le type nostalgique : la prédominance de la mémoire affective ; la disposition rêveuse ; une diminution de la fonction sélective qui arrête au seuil de la conscience le torrent des images du passé qui tend à y faire irruption, l’envahissement de la conscience par des images inutiles à la vie d’adaptation : par suite une inaptitude relative à la vie pratique.

À côté de ces causes générales, des causes individuelles, accidentelles ou circonstancielles favorisent la récurrence psychique qui constitue l’essence de la nostalgie. Ce sera une grande douleur (douleur de la mère qui a perdu son enfant, qui s’absorbe dans ses souvenirs et ne veut pas en être distraite) ou encore une déception sentimentale, une trahison, une injustice subie : autant de principes de stagnation psychique, d’immobilisation sentimentale. Certaines influences, celles de l’âge, de la saison, de l’heure inclinent au retour en arrière ; en particulier le trouble sentimental qu’un romancier a appelé le « Démon de Midi ». Le retour aux lieux où on a vécu évoque naturellement des images qui font ressusciter dans l’homme mûr l’enfant ou l’adolescent, et sous les nouvelles écritures du palimpseste, font réapparaître le vieux texte occulté. Dans tous ces cas, le ressort psychologique qui joue est l’association par identité de fond émotionnel qui préside à toutes nos complications sentimentales.

Pour juger du rôle de l’humeur nostalgique et de son influence sur le bonheur et le succès dans la vie, il faut se reporter à une distinction déjà indiquée : celle d’une récurrence psychique normale, d’une nostalgie morbide, et d’une nostalgie supra-normale. — La

  1. R. Meunier, Les Stagnants (Journal des Débats, no du 15 février 1913).