Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
revue philosophique

l’aveu de M. Lessewitsch même, Auguste Comte était compétent seulement en mathématiques, et laissait bien à désirer dans son exposition de la physique et de la biologie ; la philosophie positive s’obstinant à se déclarer d’accord avec les données de la science expérimentale, par sa « consécration dogmatique » cherche au contraire à s’imposer à la libre étude empirique : c’est ainsi qu’elle s’est déclarée à priori contre les idées de Lamarck, et que les disciples de Comte rejettent, par conséquent, la théorie darwinienne. En somme, on pourrait appliquer au Cours de philosophie positive d’Auguste Comte la sentence de Lessing sur un traité philosophique de son temps : « Il y a dans cet ouvrage beaucoup de bon et de nouveau ; mais le bon n’y est pas nouveau, et le nouveau n’y est pas bon. » D’original il n’y a chez Comte que sa loi des trois états consécutifs du progrès et sa classification des sciences. M. Lessewitsch les accepte avec quelques réserves ; mais il se déclare contre MM. Littré et Wyrouboff parce qu’ils tiennent trop au schématisme du maître, et qu’ils ont, dit-il, « atrophié » sa doctrine en étouffant dans le germe les principes du criticisme contenu dans son système. Pourquoi n’a-t-il pas fait lui-même un dernier pas pour jeter par-dessus le bord tout le bagage mystique de Comte ? On pouvait s’y attendre de la part de M. Lessewitsch qui donne tant de preuves de son érudition et de sa connaissance détaillée de la littérature philosophique moderne. Il accepte les données de l’école critique, qui, avec M. Liebmann[1] en tête, déclare la nécessité de rattacher à la méthode de Kant l’évolution philosophique actuelle. M. Lessewitsch cite, le livre à la main, Helmholtz (en donnant un exposé précis de sa théorie transcendantale de l’espace, à plus de trois dimensions), Wundt, Zöllner, Lange, Dühring, et d’autres auteurs dont il a étudié les ouvrages ; il ne les traite pas avec ce dédain positiviste qui dictait à Comte le passage suivant de son Cours, t. VI, p. 24 : « Je n’ai jamais lu en aucune langue ni Vico, ni Kant, ni Herder, ni Hegel, je ne conte nais leurs divers ouvrages que d’après quelques relations indirectes et certains extraits fort insuffisants. Quels que puissent être les inconvénients réels de cette négligence volontaire, je suis convaincu qu’elle a beaucoup contribué à la pureté et à l’harmonie de ma philosophie sociale. » Selon notre opinion, il serait impossible d’associer le positivisme mystique d’Auguste Comte avec les principes de la philosophie critique.

Quant à la loi des trois états, ce n’est pas Comte seul, qui avait un faible pour les trilogies logiques. Chez Hegel on trouve les trois époques de l’évolution qu’il nomme dans son style spéculatif : thèse primitive, antithèse, ou évolution qui s’éloigne du point de départ et reparaît de nouveau comme synthèse raisonnée ; même le grand penseur de notre époque, Proudhon, nous donne cette échelle historique

  1. Nous recommandons beaucoup l’excellent ouvrage de M. Liebmann, Zur Analysis der Wirklichkeit, 1876. Strasbourg.