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analyses.lessewitsch. Opuit crititcheskago.

losophes originaux : à la tête de cette phalange d’élite était Alexandre Herzen avec ses amis, Belinsky et Granofsky. Alexandre Herzen d’abord hégélien, puis acceptant la critique de Feuerbach, était tout à fait au niveau des dernières données de la science expérimentale et publia, en 1844, ses lettres célèbres sur l’Étude de la nature ; c’était une histoire des doctrines philosophiques depuis Bacon jusqu’à notre époque ; il y exposa aussi la philosophie française, les idées de Diderot et d’autres Encyclopédistes. Herzen a su braver les rigueurs de la censure avec ce talent d’un style voilé qui fait transpirer la pensée, afin qu’elle soit saisie pour les initiés, tout en la cachant aux regards profanes du censeur. Ses autres écrits remarquables sont : Du dilettantisme et du bouddhisme dans la science, et les Mémoires du docteur Kroupoff, où il traite quelques questions psychologiques avec beaucoup de finesse. Si le nom d’Alexandre Herzen est connu en Europe plutôt comme celui d’un publiciste, il faut savoir que ses ouvrages critiques et philosophiques lui assignent une place honorable parmi les meilleurs auteurs de la Russie, surtout par la précision et la virilité de son style, et la noblesse de sa polémique avec ses adversaires. On peut regretter que les critiques de la jeune Russie contemporaine aient oublié ce bel exemple. C’est ainsi que M. Pissareff poussait sa négation de toute autorité jusqu’à l’extrême : il niait du point de vue utilitaire l’art et la poésie, il s’efforçait de représenter Pouschkine comme un simple faiseur de vers ; il traitait tout : philosophie, histoire, physiologie, pédagogie, avec une légèreté superficielle d’esprit et une irritation passionnée contre ceux qui osaient douter de son infaillibilité. C’était M. Pissareff aussi qui introduisit en Russie la philosophie d’Auguste Comte, dont les ouvrages étaient déjà un peu connus dès la publication de son « Cours de philosophie positive » qui eut la bonne chance de braver la consigne de la censure russe, ce qui donna lieu à une lettre d’Auguste Comte à l’empereur Nicolas publiée dans le premier volume de la « Politique positive », pour le remercier de l’accueil favorable de sa doctrine dans son empire. Après M. Pissareff c’est M. de Roberti qui fut le partisan fervent d’Auguste Comte, mais on ne peut dire que le positivisme ait pris racine en Russie. Même M. Lessewitsch, comme nous l’avons déjà dit, malgré ses sympathies pour son ancien maître, se présente plutôt en adepte de la philosophie critique, et nous le félicitons à ce sujet ; nous pouvons même lui passer sa persistance de mettre en parallèle le génie d’Emmanuel Kant avec l’esprit plus mystique que profond, plus dogmatique que critique d’Auguste Comte.

Nous ne fatiguerons pas le lecteur de discussions sur le positivisme ; il suffit de rappeler que le système de philosophie positive est logiquement lié à la dernière œuvre de Comte, « la Politique positive, » dont M. Lessewitsch, par une délicatesse bien entendue, ne fait pas la moindre mention. Évidemment il ne l’accepte pas ; ses tendances théocratiques et l’idée d’un sacerdoce spirituel, d’une sorte de « catholicisme sans foi chrétienne », comme le caractérise Huxley — idées lancées par Auguste Comte dès 1826, sont passées sous silence. De