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rent distinctement : d’une part la conscience sensitive et intellectuelle du moi dans sa forme cérébrale, d’autre pari les sensations douloureuses périphériques réunies en un groupe auquel j’attachais l’idée de corps. Jusqu’ici tout est régulier ; voici où commence la particularité : le moi cérébral se montrait dans ma conscience comme isolé, libre, indépendant en quelque sorte du groupe des sensations périphériques, comme étant lui seul moi, vrai moi, moi-même ; en même temps le corps ne m’apparaissait par ses sensations que comme un autre, un autre lié au moi mais non moi : en un mot, les sensations du corps ne m’affectaient pas comme miennes mais comme voisines. Ce n’étaient pas deux moi, mais deux groupes isolés de phénomènes, moi et un autre, l’un appartenant au corps qui souffrait et marchait avec peine, l’autre au moi cérébral énergique quand même et disant à l’autre avec un peu de tristesse : tais-toi, mon pauvre corps, tais-toi.

Je dirai, comme le malade de la précédente observation, qu’au fond je savais bien que le corps qui souffrait était le mien, que c’était moi qui souffrais à la périphérie comme c’était moi qui réagissait et commandais dans l’organe cérébral. Cependant il convient de faire une distinction importante, et de remarquer par rapport à cette situation au point de vue analytique : 1° les phénomènes sensitifs et intellectuels qui se produisaient dans la conscience en forme présentative, — 2° ceux qui s’y produisaient en forme représentative ; et encore comme je l’ai fait ci-dessus : 1° le maximum d’intensité, — 2° le minimum d’intensité de ces phénomènes. Je dois faire ressortir, comme caractère particulier de la situation psycho-physiologique où je me trouvais, ce qui m’affectait alors en tant que phénomène résultant directement de cette situation et ce qui m’affectait en tant que phénomène de retour ou de réminiscence. Les sensations périphériques arrivaient nécessairement à la conscience en forme cérébrale, sans quoi elles n’auraient pas existé en tant que sensations, mais elles s’y présentaient de telle sorte que des deux conditions de toute sensation, celle du rapport était pour ainsi dire à l’état latent, celle de la localisation périphérique acquérant, par suite, une prépondérance exclusive ou qui paraissait l’être ; en d’autres termes, que les sensations périphériques en tant que périphériques ou localisées étaient élevées à un maximum d’intensité, et abaissées à un minimum en tant que liées à la conscience cérébrale au point de passer inaperçues sous cette seconde forme. Le résultat de cette situation était l’apparence d’une solution de continuité entre le groupe périphérique et le groupe cérébral des phénomènes. En même temps que cette condition sensitive était donnée à la conscience cérébrale comme conséquence d’une modification nerveuse quelconque, il se produisait un phénomène intellectuel correspondant, l’idée d’un autre appuyée sur le groupe isolé des sensations périphériques, croyance subjective entre laquelle et le phénomène sensitif l’analyse psychologique découvre une association. Les sensations périphériques relativement isolées d’une part, d’autre part ce phéno-