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ANALYSES. — fabre.Histoire de la Philosophie.

Il est trop aisé de critiquer M. Fabre sur ce qu’il n’a pas fait : il faut convenir, en revanche, que du point de vue où il s’est placé il a écrit un livre remarquable à beaucoup d’égards. C’est moins encore une histoire de la philosophie au sens ordinaire du mot qu’un essai sur la psychologie morale et religieuse de l’humanité, aux grandes époques de son développement. On s’explique dès lors comment l’auteur a été amené, non pas à dédaigner, mais à négliger ce qu’il y a de plus particulièrement abstrait en chaque doctrine. Ce qu’il cherche surtout à comprendre et à nous faire sentir, c’est la philosophie vivante qui va de l’âme à l’âme, qu’inspirent de généreux sentiments et qui à son tour trempe les caractères, produit les grands dévouements, et agit profondément sur les mœurs. Il semble que l’auteur dirait volontiers : pectus est quod philosophos facit. Pour lui la valeur d’une doctrine se mesure à l’influence bonne ou mauvaise qu’elle a exercée : aussi ne se contente-t-il pas d’exposer froidement les diverses théories qui se présentent à lui dans le cours des siècles ; il les juge au nom d’une éternelle morale du droit et du devoir qui, bien comprise, serait aussi à ses yeux l’éternelle philosophie, perennis philosophia, et la vraie religion. De là dans tout le livre, une chaleur qui dégénère parfois en emphase, mais qui souvent atteint l’éloquence : on se sent en présence d’un cœur profondément honnête et sincère, tout épris d’idéal, tout dévoué à la justice, plein de foi dans l’avenir de l’humanité et convaincu de la toute-puissance des idées de liberté et de progrès. « Sans le vulgaire, dit M. Fabre, on n’aboutit à rien. Et pourquoi donc se méfier ? Il n’est pas de bonne idée que l’instruction ne puisse inculquer aux foules. Il n’est pas de bonne habitude à laquelle l’éducation ne puisse les façonner. Il faut avoir confiance dans l’humanité et lui jeter de bon cœur les paroles de vie. L’enthousiasme actif est la condition des grandes choses. Les puissantes croyances ne demeurent pas purement individuelles : il y a en elles une force expansive qui les pousse à s’implanter dans toutes les âmes. Où manque l’ardeur de l’apostolat, manque la vie. » Ces quelques lignes donnent l’idée la plus juste du caractère même de l’auteur.

M. Fabre n’est pas seulement un philosophe : c’est un apôtre ; mais chez lui l’ardeur de l’apostolat ne nuit ni à la lucidité, ni à l’impartialité du jugement. Il ne fait pas montre d’érudition, il ne cite pas les sources, mais il est facile de voir que son livre, qui a la brièveté d’un manuel sans en avoir la sécheresse, est le résultat de nombreuses lectures et de longues réflexions. Comme il le dit lui-même, il s’est donné beaucoup de peine pour en épargner à ses lecteurs : il y a réussi et même, à notre sens, plus qu’il ne faudrait, car quelques renvois aux auteurs, quelques indications biographiques, quelques dates précises seraient parfois indispensables : il eût été bien facile de les ajouter, par exemple sous forme de notes, sans couper les développements consacrés à caractériser les grands mouvements de la pensée humaine. Ces indications seraient surtout utiles, lorsqu’il s’agit des doctrines