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REGNAUD. — ÉTUDES DE PHILOSOPHIE INDIENNE

toile, tandis qu’elle en est par son corps la cause matérielle[1]. »

Après avoir établi ces distinctions entre l’être absolu et l’être uni à l’ignorance, le Vedânta-Sâra explique ce qu’il faut entendre par Brahma dans les termes suivants, qui contribuent encore à en préciser la nature. « L’intelligence qui, sans être unie (à l’ignorance), n’est pas distinguée (par la pensée) de l’intelligence unie au développement matériel de l’univers, de même que (la chaleur n’est pas distinguée) de la masse de fer incandescente (qui l’émet), est ce qu’exprime la grande phrase : « Tout ceci (cet univers) est Brahma[2]. »

Le Vedânta-Sâra donne encore à l’âme universelle les épithètes suivantes, et c’est par ce passage que je terminerai mes emprunts à cet ouvrage : « Elle est éternelle, pure, intelligente, indépendante ; elle a le vrai pour nature et son intelligence vient du dedans[3]. »

Je résumerai brièvement ces données que nous fournissent les documents originaux en disant que dans les Upanishads, les Brahma-Sûtras et le commentaire de Çankara sur ces ouvrages, l’être est considéré généralement sous un double point de vue, c’est-à-dire comme idéal et réel, permanent et transitoire, substance et qualité, cause et effet ; bref, comme embrassant l’univers à titre de créateur et de créature. En d’autres termes, l’être comporte deux modes : l’absolu et le relatif, le second se trouvant, bien entendu, étroitement subordonné au premier et n’étant ni nécessaire, ni libre, ni actif. Dans le védântisme primitif l’être manifesté, ou les modes matériels de l’univers, sont essentiellement identiques à l’être parfait et développé. Dans le Vedânta-Sâra ce double aspect n’existe plus ; il ne reste que l’être absolu et unique en présence des illusions passagères et multiples évoquées par l’ignorance, sous le nom d’êtres, d’individualités, d’univers matériel, etc., et les modifications que l’être est supposé subir sous le nom d’Içvara, etc., quoiqu’en réalité il demeure immuable et constamment identique à lui-même.

Dans le chapitre suivant nous étudierons la nature de l’être relatif des premières phases du védântisme, l’illusion ou non-être du védântisme définitif, et la relation dans laquelle ces modes se trouvent à l’égard de l’être absolu.

Paul Regnaud.
  1. Çaktidvayavadajnânopahitam caitanyam svapradhânatayâ nimittam svopâdhi­pradhânatayâ upâdânam ca bhavati. Yathâ lûtâ tantukâryam prati svapradhânatayâ nimittam svaçarirapradhânatayopâdânam ca bhavati.
  2. Âbhyâm mahâprapancatadupahitacaitanyâbhyâm taptâya/i pinndavad aviviktam sat anupahitam caitanyam sarvam khalv idam brahmeti mahâvâkyasya vâcyam bhavati.
  3. Nityaçuddhabuddhamuktasatyasvabhâvapratyakcaitanyam evâtmatattvam.