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noms qui sont réservés à la connaissance scientifique, c’est-à-dire, dans la langue philosophique de l’Allemagne, depuis Kant, des noms d’Erkenntniss et de Wissen.

Où trouver ces faits, ces qualités des êtres, qui auront le triple caractère d’être les plus universels, les plus rigoureusement vérifiables, les plus directement et les plus facilement modifiables ?

Ce seront évidemment les plus simples et les plus constants des éléments de la réalité. Les propriétés de l’étendue et du mouvement sont les seules qui répondent aux conditions énumérées. Un corps cesse d’être coloré, sapide, sonore, odorant, chaud ou froid, dur ou mou pour l’aveuglé, le sourd, l’homme paralysé, à des degrés différents. Mais il paraît toujours étendu et en mouvement, parce que le toucher général juge de ces propriétés, et que la disparition complète de ce sens serait la cessation même de la conscience et de la vie. Ce sens est par excellence, comme l’appelait si bien Aristote, le sens universel ; et les qualités qu’il perçoit méritent bien, en un certain sens, le nom de qualités premières, que leur avait donné Descartes. En définitive donc, la science des êtres ne peut satisfaire aux conditions que notre définition lui a imposées, qu’autant qu’elle porte sur les propriétés mécaniques de la réalité.

Pour mesurer le mouvement, il faut qu’il change dans sa direction, mais non dans sa quantité : car, si tout change en lui, rien ne peut se mesurer, et l’on manque d’un élément d’unité et d’ordre. Nous sommes forcés d’admettre, dans l’espace que remplit le mouvement, un principe indestructible et immuable : ce principe, c’est la matière. Comme la direction générale du mouvement paraît se ramener aux deux formes essentielles de l’attraction et de la répulsion, nous imaginerons partout juxtaposés dans l’espace des centres de forces indestructibles ; et, pour nous les représenter, des atomes, c’es-t-àdire du plein et du vide. Les mouvements de la matière ainsi conçue devront être, à leur tour, régis par la loi de la causalité : c’est-à-dire qu’ils se produiront suivant des règles immuables, uniquement destinées à maintenir l’unité essentielle du mouvement, sous la multiplicité changeante de ses directions.

Tout se ramène donc pour le savant au mouvement. Le monde des faits n’est pour lui, suivant le mot de Descartes, qu’un immense mécanisme ; et la science, une mathématique universelle. La matière n’est pas autre chose que la quantité constante du mouvement ; le déterminisme mécanique ou la loi de la causalité n’exprime que la régularité de ses modifications.’La science connaît seulement le mouvement et la matière ; car ce sont là les seuls objets vérifiables et modifiables partout. Chacun de nous a la notion du mouve-