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qu’il poursuit ? On peut dire qu’il ne cherche rien, qu’il se livre seulement à l’impulsion titanique, qui le pousse à se lancer dans toutes les directions de la vie. Il ne faudrait pas croire toutefois que c’est un égoïsme réfléchi qui pousse Faust à la jouissance. Son élan est bien au-dessus de l’égoïsme, « il a quelque chose d’objectif, » il est comme une force de la nature. Sans doute il renverse ceux qui lui font obstacle, mais c’est à la façon d’une puissance naturelle déchaînée et non par égoïsme réfléchi. Il y a une raison qui empêche Faust d’être égoïste, c’est qu’il a trop médité pour croire encore à la possibilité du bonheur individuel. « Le souci, dit-il, se couvre toujours de nouveaux masques ; » c’est dire que la douleur ne nous vient pas du dehors, mais qu’elle a fait sa demeure au plus profond de notre âme. Il ne se tue pas, il est vrai, mais il maudit « toutes les fascinations qui s’emparent de l’âme et la poussent à force d’illusions dans ces abîmes lamentables. » L’engagement de Faust avec Méphistophélès est encore une preuve de son pessimisme : il doit mourir dès qu’il rencontrera une joie sans mélange, et dès qu’il demandera au temps de s’arrêter pour prolonger son plaisir. Avec ce mépris de toutes les jouissances que peut atteindre l’humanité, on n’est pas égoïste.

Quand Faust avec son désir d’infini se précipite dans la vie réelle, il veut éprouver tous les sentiments humains. « Mon cœur guéri du besoin de savoir ne doit se fermer à l’avenir à aucune douleur, et ce qui est accordé à l’humanité tout entière, je veux en jouir dans mon âme ; avec mon esprit je veux saisir ce qu’il y a de plus élevé et ce qu’il y a de plus bas, entasser dans mon sein tout le bien et tout le mal de l’humanité, et accroître ainsi mon être de tout son être. » Par ce désir, Faust pressent la morale de l’avenir qui confond l’individu avec l’humanité. Mais pour partager toutes les douleurs de l’homme, il n’est pas nécessaire de se livrer à toutes les passions. Ce qui égare Faust c’est qu’il n’a pas assez d’expérience de la vie réelle pour la mépriser.

Aussitôt après son départ avec Méphistophélès, il rencontre Marguerite, mais il est bientôt las de chercher la vie véritable dans la réalité immédiate, et il la place dans la belle apparence d’un rayon lumineux (am farbigem Abglanz haben voir das Leben). C’est l’épisode d’Hélène. Gœthe s’est astreint dans cet épisode à suivre la vieille légende du docteur Faust, ce qui l’a empêché de donner à sa pensée toute sa clarté. Hélène représente l’idéal de la beauté : pourquoi alors l’union matérielle ? Si cette union devait être prise au sens littéral, il n’y aurait pas progrès de Marguerite à Hélène, de l’âme sincère, profonde et naïve, à l’apparence purement extérieure. « Une