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séailles.l'esthétique de hartmann

plit dans l’unité de temps et de lieu. Mais c’est là une chose seulement désirable, et il est absurde de comprimer l’action, en dehors de toute vraisemblance pour atteindre cette fin.

Les caractères. — Le drame est représenté par des acteurs, mais ceux-ci ne doivent pas, comme les rhapsodes, déclamer des événements poétiques, ils doivent éveiller chez le spectateur l’illusion qu’ils sont les personnes agissantes du drame. Cette illusion n’est possible que si nous oublions que nous avons devant nous des acteurs, pour ne plus songer qu’à la vérité des caractères représentés.

Les caractères doivent être les causes efficientes des actes. Dans la fiction comme dans la réalité, nous ne nous intéressons qu’aux personnes concrètes, qu’aux êtres vivants. Séparée du caractère, qui la produit, l’action peut bien exciter un intérêt intellectuel, une attention de l’esprit, comme le jeu de cartes ou le jeu d’échec, elle ne saurait éveiller la sympathie, ni émouvoir le cœur. Un caractère ne nous intéresse que si nous le voyons se développer devant nous par l’action. Il faut que dès le premier acte nous connaissions et aimions le héros, qu’à mesure que se révèle à nous sa nature, nous nous attachions à lui davantage. C’est cette nécessité de la sympathie qui fait qu’un personnage médiocre ou misérable peut difficilement tenir le premier rang dans un drame. La race germanique excelle dans la peinture des caractères, la race latine préfère l’intérêt intellectuel que donne le développement d’une intrigue et ne s’approche de sa rivale que dans la peinture des caractères ridicules. (Les types de Molière)[1].

Le triomphe du drame c’est de représenter un caractère dans son devenir. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’une transformation miraculeuse, produite par le libre arbitre, d’une création ex nihilo, il s’agit d’un développement des dispositions naturelles antérieurement données. Toute âme contient en germe plusieurs êtres possibles qu’il appartient aux circonstances de déterminer. Certaines facultés peuvent être encore latentes au commencement d’un drame et dans la suite de la pièce être amenées à un tel développement que le caractère est différent à la fin de ce qu’il était au principe.

Œdipe, Hamlet, Faust, les plus grands chefs-d’œuvre de l’art dramatique nous donnent des exemples de cette formation d’un caractère. Il est à remarquer que les plus fameux poètes de la race latine n’ont jamais atteint à cette hauteur (Molière) ; ils montrent des caractères formés que l’action met en lumière[2]. Le nombre limité des

  1. Nous opposerons à l’affirmation de M. de Hartmann toutes les tragédies de Racine, le Cid et Polyeucte de Corneille, Tartufe et le Misanthrope, pour nous borner aux arguments irréfutables.
  2. Sans nier la distance qui sépare Racine de Sophocle, de Shakespeare et