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repose sur des rapports mathématiques, que l’art du coloriste n’est qu’une application de la loi des couleurs complémentaires ; mais ils n’auront rendu compte ni du plaisir que l’homme éprouve, ni du génie, que l’artiste déploie. Est-ce une seule et même chose de connaître l’accord du beau avec les lois de la nature et de juger qu’une chose est belle ? — Adopterons-nous l’opinion des esthéticiens qui, comme Zimmermann et les disciples d’Herbart, soutiennent que la beauté ne réside que dans la forme, et que le contenu est absolument indifférent ? « Il est certain qu’à titre de pensée sans forme l’idée de la Madone avec l’Enfant Jésus est aussi indifférente à l’esthétique que l’idée d’un rôti de porc (Schweinebraten) ; mais si les deux sujets s’offrent à nos yeux sous une forme d’égale valeur, par exemple peints magistralement, le premier produira sans contredit sur nous une impression plus grande, non seulement au point de vue intellectuel et moral, mais encore au point de vue esthétique. » Ceci accordé, le principe de la théorie du beau formel est renversé[1]. « Les rapports de la forme ne sont beaux qu’autant qu’ils sont dominés et conditionnés par le fond même, dont ils doivent devenir l’expression sensible et adéquate. Toute forme belle répond à une idée (ist ideebestimmt) ; la beauté formelle des accords musicaux et des figures géométriques, vient de ce que les rapports logiques et internes du contenu idéal trouvent une représentation sensible. Le fond en tant que tel n’apparaît pas à la conscience, mais c’est cependant sa richesse qui attire l’oreille suspendue, le regard fixé, et occupe l’esprit d’une arithmétique inconsciente[2]. »

En résumé la théorie platonicienne est en désaccord avec les faits ; les recherches et les observations des empiriques sont insuffisantes, le formalisme d’Herbart et de ses disciples supprime des distinctions nécessaires : nous sommes donc amenés à nous poser à notre tour le problème resté sans solution : qu’est-ce que la beauté ? Dans l’homme, le génie est un des modes d’action de l’Inconscient, dans la nature tout entière la même intelligence créatrice et mystérieuse « préside à la formation des organismes d’après des idées préexistantes. Qu’on considère une plume de paon. Chaque barbule de la plume tire sa nourriture de la tige. La nourriture de toutes les barbules est la même. Les matières colorantes n’existent pas encore la plupart du temps dans la tige : elles sont extraites par les barbules elles-mêmes de la matière commune où elles s’alimentent. Chaque barbule tient en dépôt, à des distances différentes de

  1. Article sur l’Hist. de l’esthétique de Max Schasler.
  2. Idem.