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réponde à toutes les exigences de la pensée consciente et réfléchie, c’est ce que prouvent l’observation et l’analyse de l’œuvre créée dans l’inspiration. De même, la joie esthétique est une émotion unique, qui apparaît d’un seul coup, sans qu’on assiste à sa formation, sans que la conscience la voie se faire de l’assemblage des éléments qui la constituent ; mais l’analyse et la réflexion permettent de distinguer les sensations composantes et de déterminer les lois fixes de leur accord.

La science du beau n’est donc pas contenue tout entière dans cette simple proposition : « Le Beau est créé et senti par l’inconscient. » Cette vérité reconnue, la science reste à faire ; M. de Hartmann ne l’ayant pas faite, nous avions raison de dire qu’il a indiqué ce que serait son esthétique, qu’il ne l’a pas achevée. Tout au moins il est possible de marquer avec précision la méthode qu’il prétend suivre. Après avoir constaté l’impuissance de l’empirisme à donner la raison suffisante du génie et du sentiment esthétique, il montre que seul l’empirisme est capable d’en déterminer les conditions.

Le rôle de l’intelligence inconsciente reconnue, la part ainsi faite à l’idéalisme et à l’à priori, il faut donc recourir aux œuvres des physiologistes comme Helmholtz, des psychologues comme Alexander Bain et Herbert Spencer : « Les empiriques ont raison d’affirmer que tout jugement esthétique doit dépendre de conditions psychologiques et physiologiques. Ce sont eux qui créent la science du beau tandis que les idéalistes, avec leur hypothèse, s’interdisent la possibilité de la constituer. » Sans doute il restera toujours quelque chose de mystérieux dans la création et l’émotion artistiques : mais savoir dans quelles circonstances s’accomplit un miracle, quelles sont ses conditions et ses lois, c’est avoir fait du miracle même un phénomène naturel, parce que c’est l’avoir rendu intelligible, autant qu’il peut devenir intelligible, sans cesser d’être lui-même, en le rattachant à ses antécédents nécessaires. M. de Hartmann reste fidèle à sa méthode générale : ici comme partout ailleurs, il s’efforce de concilier les résultats acquis de la science avec les inductions anticipées et les hypothèses hardies de la métaphysique ; de faire concorder les recherches patientes, les observations exactes des empiristes qui cherchent et découvrent les lois, avec les intuitions profondes et les vues systématiques des idéalistes, qui prétendent rendre raison des lois par les causes. Dans un article sur « l’histoire de l’esthétique de M. Max Schasler[1] » M. de Hartmann loue fauteur de s’être affranchi de la méthode à priori de Hegel, d’avoir renoncé à une dialectique

  1. Cet article fait partie des « Études et Essais », nous n’en donnerons pas le compte-rendu détaillé : nous ne ferions le plus souvent que répéter l’article de M. C. Bénard, publié dans cette Revue. Juillet 1876.