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Nous savons que le mot « métaphysique » déplaît grandement aux matérialistes : il faut cependant qu’ils le subissent, car ils sont les métaphysiciens tout à la fois les plus intempérants et les plus illogiques qui aient existé depuis Leucippe et Démocrite jusqu’à Broussais, jusqu’à Büchner, enfin jusqu’à M. Sierebois, dont on connaît les « molécules idéelles, j et M. Conta, qui nous réserve, comme suprême moyen d’explication des faits psychologiques, les empreintes et perceptions fibrales et nervales du premier et du second degré. Voici textuellement les hypothèses fondamentales de l’auteur :

1° Chaque fibre nerveuse irréductible en d’autres fibres a la propriété de sentir une seule sorte d’excitation nerveuse, irréductible, et toujours égale à elle-même, et la sensation d’un objet extérieur est l’ensemble d’un nombre plus ou moins grand de sensations particulières des fibres nerveuses.

2° Les modifications [matérielles qui constituent les sensations et les idées, ayant besoin d’espace, se placent tout le long des fibres sensitives. Ces fibres seront donc d’autant plus longues qu’elles se trouveront chez un animal plus supérieur, ayant une plus grande provision d’idées dans sa mémoire. Le cerveau n’est autre chose qu’une grande pelote de fibres nerveuses excessivement allongées et précisément de ces parties des fibres qui subissent et conservent les modifications matérielles appelées images et idées.

3° Il est très-probable qu’il y a dans le cerveau un nerf qui soit excité par les changements matériels des organes cérébraux et qui, par conséquent, puisse sentir ce qui se passe dans le cerveau.

Armé de ces trois hypothèses, M. Conta n’a pas de peine à rendre compte de toutes ces facultés de l’âme humaine : les souvenirs sont comme des sortes de plaies, des sortes d’égratignures qui modifient la matière cérébrale ; quand ils se perdent, c’est que « la matière organique, modifiée par l’ébranlement nerveux, se redresse, guérit et revient à son état normal. » C’est l’auteur lui-même qui souligne. Il explique d’une façon analogue les idées générales, les idées abstraites, et enfin les idées, dites nécessaires, de temps, d’espace, de causalité, etc., qui correspondent aux plus longs morceaux de fibres modifiées, d’où vient que nous avons à leur égard la plus grande certitude.

Si M. Conta n’avait fait que renouveler le vocabulaire de l’école à laquelle il appartient, son livre ne mériterait pas de nous arrêter plus longtemps : mais sous ces flots de métaphores empruntées indûment aux fibres et aux nerfs, au milieu de toutes ces suppositions gratuites, mais également anti-scientifiques, il y a souvent des aperçus judicieux sur les phénomènes moraux ; c’est que contrairement — à Comte, qu’il combat avec beaucoup de force sur ce point, il croit que l’observation interne n’est pas une pure illusion : par là il se rapproche des Anglais qu’il connaît et qu’il aime à citer. Il connaît Kant aussi et le discute. Bien mieux, il essaie d’expliquer comment le moi