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M. Renouvier, il juge avec équité un homme qui tenait à la fois du stoïcien et du sophiste : sophiste, par exemple, dans ses paradoxes antithéistes, quand il reprochait à Dieu d’avoir si longtemps laissé l’humanité s’égarer dans les voies de la logique d’Aristote, alors qu’il eût été si simple de lui apprendre tout de suite la logique de Hegel et de Proudhon ; — stoïcien, et stoïcien éloquent, lorsqu’il se révolte contre l’immoralité, lorsqu’il essaie de fonder sur la conscience et la dignité personnelle une morale immanente, à laquelle M. Ferraz ne trouve guère d’autre reproche à adresser que de n’avoir pas son fondement en Dieu.

Que l’auteur du livre dont nous venons de rendre compte sommairement, avec le regret de ne pouvoir entrer plus avant dans le détail, nous permette de le lui dire en finissant : comme lui, nous comptons beaucoup sur les progrès de la liberté et de la raison ; mais nous pensons, plus qu’il ne le croit lui-même/qu’il faut aussi beaucoup attendre et peut-être beaucoup craindre, dans l’avenir, de l’imagination et des facultés inventives de l’homme, M. Ferraz semble douter de la possibilité d’une religion nouvelle, « parce qu’il n’y a plus assez de naïveté et de simplicité dans les âmes. » Le succès qui a accueilli le spiritisme, et qui semble acquis d’avance à toute superstition nouvelle, ne donne-t-il pas un démenti à cette assertion ? Malgré le développement des sciences et les progrès de l’esprit positif, il reste, il restera toujours, au fond de l’âme humaine, une incurable prédisposition aux aventures de la pensée, aux hypothèses, aux essais de renouvellement social. L’avenir sur ce point, nous n’en doutons pas, réserve à nos successeurs plus d’une surprise : le xxe siècle verra, comme celui-ci, des esprits ardents s’élancer à la poursuite de l’inconnu, et il serait téméraire de prédire qu’ils échoueront aussi piteusement que leurs devanciers. En tout cas, nous leur souhaitons un historien aussi attentif, aussi équitable que M. Ferraz.

G. Compayré.

B. Conta. Théorie du fatalisme. (Essai de philosophie matérialiste.) — Paris, Germer Baillière, 1877.

M. Conta, professeur de droit civil à l’Université de Jassy, a fait paraître en roumain, de 1875 à 1876, dans le Journal Convorbiri literare, le livre qu’il vient de publier en français et dont le titre indique suffisamment l’esprit. Cet ouvrage se recommande par des qualités d’ordre et de méthode qui le mettent bien au-dessus, à notre sens, du célèbre ouvrage de Büchner, Force et matière, qui a eu tant d’éditions en Allemagne et en France. L’auteur est tolérant, il ne nie pas de parti pris les difficultés et la complexité des problèmes qu’il est amené à traiter ; il a une culture philosophique qu’on rencontre rarement chez les admirateurs d’Auguste Comte ; et il sait à l’occasion s’insurger contre ceux de ses maîtres qu’il porte