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ribot.m. taine et sa psychologie

rement à l’opinion vulgaire, que les Allemands appellent le réalisme naïf, la perception extérieure est un fait intérieur ; que toute image, quoique interne, a une tendance à paraître externe ; que si cette tendance n’était rectifiée et enrayée, l’hallucination, au lieu d’être un état passager, serait notre état normal. Par là aussi, comme on pourra s’en convaincre par une étude détaillée de l’ouvrage qui ne peut être faite ici, l’auteur, sans aucune hypothèse de facultés, ramène la perception, la mémoire, l’imagination, le rêve, à de simples différences de rapports entre les images.

Le mécanisme physiologique de la perception extérieure a été exposé par M. Taine avec une exactitude et une abondance de détails dont aucun de nos traités de psychologie ne lui avait donné l’exemple. Mais comment ce mécanisme, qui semble consister en un mouvement moléculaire transmis par les nerfs aux centres nerveux, peut-il aboutir à la formation d’un simulacre extérieur ? Comment l’interne devient-il externe, et, pour parler la langue de l’auteur, comment l’hallucination devient-elle vraie ?

Ici, deux questions se posent : l’une qui est strictement du domaine de la psychologie — le problème de la localisation des perceptions ; l’autre qui à beaucoup d’égards le dépasse — le problème de la réalité extérieure.

Le fait de la localisation est traité avec beaucoup de netteté. L’auteur a très-bien montré comment certains groupes de perceptions ne parcourent qu’un premier stade qui aboutit à les situer dans notre corps ; comment d’autres groupes parcourent un second stade qui les situe hors de notre corps et constituent ainsi pour nous le véritable monde extérieur. La formation de ce que M. Taine appelle l’atlas visuel et l’atlas tactile et musculaire, c’est-à-dire de la connaissance topographique des divers points de notre corps, à l’aide des sensations de la vue ou à l’aide des sensations du toucher et de l’état de nos muscles ; la comparaison de ces deux atlas ; leur valeur et leur utilité relative : ce sont là des emprunts faits aux physiologistes, mais qui doivent rester désormais dans le domaine de la psychologie. Je ne sais si M. Taine connaissait les ouvrages de Lotze avant d’écrire son Traité de l’Intelligence. Il ne le nomme nulle part ; mais lorsqu’il nous dit a que chaque sensation distincte a dans cette carte que forme notre corps un point distinct qui lui correspond et qui lui a été associé par l’expérience, » il ne fait guère qu’exprimer sous une autre forme l’hypothèse du signe local (Localzeichen) émise par Lotze, récemment développée par Wundt, qui l’a même appliquée à la rétine, à cet organe d’une sensibilité exquise, dont les éléments sensitifs les plus délicats — les cônes — n’ont que