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analyses.liebmann. Zur Analysis der Wirklichkeit.

mille, de connaître un certain espace absolu. Ce dernier nous est de sa nature, inaccessible, assurément. Toutefois il faut bien que notre conception propre de l’espace ait sa cause, et cette cause doit être, pour moitié dans notre organisation, et pour le reste dans l’espace en soi.

M. Liebmann ne pouvait rendre plus manifeste le conflit de sa pensée avec celle de Kant. Comment ce dernier eût-il admis l’existence d’un espace en soi ? élevé au rang de noumène une forme de l’intelligence ? Ainsi cet ennemi de l’empirisme aurait vu, dans les formes qu’il nomme à priori, l’empreinte d’une réalité extérieure ! Non, la métagéométrie ne peut s’allier qu’à l’empirisme ; M. Helmholtz l’a déclaré avec autorité (Revue scientifique du 9 juillet 1870) ; et d’ailleurs ne le voit-on pas bien par son axiome fondamental et caché : qu’un être connaît uniquement l’espace dans lequel il vit, en sorte que les conditions de sa vie déterminent sa pensée ?

M. Liebmann est-il bien sage de s’attacher si peu aux démonstrations propres de Kant (et pourtant elles seules donnent à la doctrine de ce philosophe tout son sens), et de recourir si promptement aux nouveautés de la métagéométrie ? Il n’a pu lever tous les scrupules qu’excite cette récente entreprise. D’abord en ce qui concerne ses considérations géométriques préliminaires, comment passe-t-on de la géométrie des surfaces à, celle des espaces de plus de deux dimensions ? En appelant la surface un espace, et pour compléter l’assimilation, on nous offre l’hypothèse étrange d’un être à deux dimensions ; mais un tel être est-il même concevable ? La réalité physique et la solidité ne sont-elles pas inséparables, en vertu même de notre constitution et de notre absolue soumission à la loi de l’espace euclidien ? Ne voit-on pas que cette hypothèse enveloppe la question même ? Quant au second moyen, de quel droit conclut-on sans exception de l’algèbre à la géométrie ? Il n’est pas prouvé que toute équation peut se construire. Il est tout aussi probable que, l’espace étant une espèce de la quantité, l’interprétation géométrique ne doit réussir que pour certaines équations ; à moins qu’on ne traduise par convention toute équation en une figure de trois dimensions au plus.

Enfin, et pour dire tout d’un mot, qu’est-ce que cette géométrie inimaginable et seulement concevable ? Elle est, dit-on, imaginable pour d’autres esprits, et nous autres concevons qu’ils puissent l’imaginer. Mais alors, le mot imagination a-t-il, pour l’essentiel au moins, le même sens au regard de ces esprits qu’au regard du nôtre ? Il le faut certainement ; eh bien donc, voici ce que l’on nous propose : de concevoir comme imaginable ce qui d’un commun aveu est inimaginable.

D’ailleurs, on ne saurait trop louer la sagacité avec laquelle M. Liebmann guide le lecteur dans ces labyrinthes.

Temps subjectif, temps objectif, temps absolu. Conclusions analogues, marche très-différente. — Nous possédons l’idée d’un temps absolu, d’un temps dont le cours est constant. De cette idée nous