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analyses.liebmann. Zur Analysis der Wirklichkeit.

est en nous, n’est pas en vérité si éloignée de l’Analytique, et de la déduction par laquelle Kant dérive les catégories de l’idée du moi. Kant se défend, il est vrai, de l’idéalisme pur de Berkeley ; mais il n’entend pas pour cela admettre la réalité d’une matière en soi : il veut seulement dire que nos perceptions ne sont pas de simples idées, des fantômes ; elles diffèrent des illusions par leur constance et la régularité de leur retour, en un mot, par leur assujettissement à des lois. Et en cela encore, Berkeley (instruit peut-être par les idées si semblables de Descartes sur ce point) ne s’écarte guère de Kant : selon lui, les phénomènes matériels vrais viennent de Dieu, sont ses moyens d’action sur la créature, et, comme les mots d’un langage divin, sont arrangés avec ordre et logique.

Phénoménalité de l’espace. Rien n’est plus capable de miner le réalisme vulgaire, et la foi à l’existence objective de corps semblables à ce que nous percevons, qu’une bonne démonstration de la subjectivité de l’espace. Or c’est là une vérité que la philosophie de tous les temps a pressentie, mais qui devait demeurer un paradoxe pur, jusqu’au jour ou la preuve scientifique en serait faite. Déjà Copernic, en chassant la terre du centre du monde, et en détruisant l’idée d’un haut et d’un bas absolus, c’est-à-dire de directions absolues dans l’espace, préparait cette preuve. J. Müller fit plus encore en établissant ses deux lois de la sensation : 1° qu’un même agent physique, s’appliquant successivement aux nerfs de divers sens, produit des sensations diverses ; 2° qu’un même nerf, soumis à des agents divers, produit toujours la même sensation ; il fit voir par là que les sensations sont les produits des énergies spécifiques des nerfs, et démontra ce que Descartes soupçonnait, la subjectivité des qualités secondes des corps. Restait à faire la même preuve pour les qualités primaires, ou mathématiques. Elle est faite, et elle résulte de l’existence d’une géométrie imaginaire, ou anti-euclidienne, qui se fonde sur la conception d’un espace différent du nôtre. On peut arriver à cette conception par des considérations géométriques ou par l’algèbre.

Voici le premier moyen : nous sommes des êtres à trois dimensions, et nous ne pouvons vivre, à ce qu’il nous parait, dans un espace de moins de trois dimensions. Mais imaginons des êtres purement superficiels, sans épaisseur : leur espace propre sera une surface, et l’unique géométrie qu’ils puissent imaginer sera celle dont les théorèmes conviennent à cette surface. Si cette surface est plane, ou si elle peut être engendrée en déformant un plan sans en altérer les dimensions en aucun sens (surface cylindrique ou conique), c’est-à-dire, si elle a une courbure constante et nulle[1], alors elle jouira de cette propriété, qui

  1. La courbure d’une surface en une de ses parties a pour mesure le produit des inverses des deux rayons de courbure principaux, et peuvent être regardés comme les rayons de deux cercles dont les plans sont perpendiculaires entre eux et normaux à la surface, et qui se confondent avec cette