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témoignage de l’expérience psychologique la découverte et la justification des formes a priori de la raison pure, comme si ce n’était pas là en contester la nécessité, et leur enlever toute valeur apodictique. S’il a raison de vouloir enrichir la table des intuitions pures de la sensibilité des formes subjectives du mouvement et de la matière, il est loin d’être aussi heureux en proposant d’étendre cette liste par l’addition des diverses qualités sensibles, comme le son, la couleur, etc. Le nombre des Idées n’est pas moins arbitrairement réduit par lui ; et nous ne voyons pas comment il peut aller jusqu’à soutenir que Spinoza et Hegel ont prouvé par leur exemple qu’on peut se passer de l’Idée de l’absolu, envisagé comme l’Idéal de la raison pure. C’est surtout contre la théorie générale des Noumènes, des choses en soi, qu’il paraît tourner ses objections les plus pressantes. Les doctrines particulières qui s’y rattachent, celles du caractère intelligible et celle des postulats, lui paraissent autant de contradictions aux principes posés par la doctrine des catégories. Nous ne trouvons nullement, comme Lange le soutient à plusieurs reprises, que Kant prétende à une démonstration théorique de l’existence et de la nature des Noumènes. Il ne se résigne pas sans doute à une ignorance absolue sur le compte des choses en soi. À la lumière de la foi morale, il se hasarde à jeter un regard dans le monde mystérieux des Noumènes. Et l’idée qui semble bien dominer ses hypothèses métaphysiques, comme Lange le reconnaît d’ailleurs, c’est une conception analogue à celle de Spinoza et de Leibniz qui associent partout au sein de l’être le mouvement et la pensée, très-voisine surtout de celle de Leibniz qui résout le mouvement matériel en pensée. Mais Kant n’insiste pas sur la grandiose hypothèse de la monadologie, dominé qu’il est par cette réserve morale, qui est le fond de sa nature et la règle constante de son système. Il ne s’attache qu’à bien établir que pour l’être, qui saurait pénétrer l’essence intime des choses, le mécanisme et la finalité, la nécessité et la liberté, le réel et l’idéal pourraient se concilier dans l’unité d’un commun principe. Il affirme avant tout, et ici à l’hypothèse succède pour lui la certitude absolue, que l’ordre moral est la loi souveraine de la nature comme de la volonté ; et que toutes les conditions nécessaires à la réalisation de cet ordre se rencontrent infailliblement dans la réalité. Il laisse à la foi morale le droit de se décider pour les hypothèses métaphysiques, qui satisfont le mieux l’imagination et le cœur de chacun. Il n’y met qu’une condition, c’est qu’elles ne contredisent ni les données de l’expérience, ni les droits imprescriptibles de la conscience. C’est dans ces limites qu’il se hasarde lui-même, par sa doctrine des postulats, à nous tracer les