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la succession n’est qu’en nous-mêmes, que la coexistence est dans les choses et que ce qui cause le changement de nos sensations ne consiste que dans la diversité de nos relations par rapport à des objets permanents du monde extérieur. C’est en ces termes que l’on peut exprimer la notion pour ainsi dire abstraite de ce que l’espace est sous forme d’intuition. Ajoutons enfin qu’il y a aussi pour les sensations de la peau quelque chose qui ressemble à ces conditions favorables pour la localisation des sensations. Elle aussi elle possède d’innombrables points sensibles ; mais les mouvements, nécessaires pour en apprécier les positions, ne sont pas possibles à ces points immédiatement, comme ils le sont à ceux de la rétine, et il faut que le concours d’organes mobiles supplée à ce défaut. La main glissant sur la surface d’un corps, reçoit à la fois, comme la rétine, un grand nombre d’impressions. Quand elle en perd une, , par suite de son mouvement, elle ne perd pas tout ; les autres, , persistent, et la nouvelle, , vient s’y joindre ; c’est ainsi que le tâtonnement combiné avec la sensibilité de la peau peut servir à l’aveuglené pour qu’il se forme, lui aussi, une intuition de l’espace, mais qui n’est peut-être pas entièrement identique à celle que la vision rend possible.

Nous ajouterons une dernière remarque. Dans le cours de cette discussion, nous nous sommes permis de distinguer l’intuition générale de l’espace, innée pour ainsi dire, et l’application que nous en faisons pour localiser les impressions. Ce n’est là cependant qu’une manière de parler, qui, prise au pied de la lettre, rappellerait une distinction attribuée à l’une des distractions habituelles du célèbre Galetti : « Le lendemain de la mort de Marie Stuart, la reine Élisabeth entra au Parlement son mouchoir dans une main et ses larmes dans l’autre. » On ne saurait imaginer qu’avant d’avoir reçu des impressions extérieures l’âme déploie, comme un filet pour y prendre tout ce qui y tombera, l’intuition d’un espace infini à trois dimensions, toute formée et déjà achevée ; il se présenterait de nouveau la question de savoir comment on peut faire entrer les impressions en cette sorte de piège tendu dans un monde où elles ne sont pas encore. La faculté de répondre à l’impulsion des ondes lumineuses par la sensation du vert ou du rouge, ne se comprend que comme une manière de réagir propre et innée à la nature de l’âme et ne donnant lieu à aucune déduction quelconque ; après avoir éprouvé ces sensations, nous en tirons l’idée générale de couleur ; mais assurément nous ne possédons pas d’abord cette notion générale comme un moyen à l’aide duquel nous puissions concevoir le rouge et le vert, ou ranger les couleurs d’après leur affinité, le rouge