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permettent, peut-être à juste titre, de contester la réalité de l’espace ; nous ne nous éloignerons pas non plus de l’ancienne croyance relative à l’immatérialité de l’âme. Supposons donc que dans cet espace réel, qui nous entoure, soit donné un ensemble de points, enfermés dans une courbe quelconque et disposés dans tel ou tel ordre. L’âme n’est ni un milieu sans résistance, ni un milieu étendu, où cet ensemble de points puisse pénétrer et occuper la place qu’il lui faut ; d’ailleurs, à supposer même qu’il parvînt à y entrer, la seule présence de ce système de points, ainsi transplanté dans la réceptivité de l’âme, ne serait pas encore la perception que forme notre pensée. On jugera sans doute qu’il est superflu de critiquer à nouveau une erreur qui ne peut plus séduire personne ; cependant, sous les formes les plus subtiles, cette erreur ne cesse pas de se renouveler. On fait observer, en prenant pour exemple l’image formée sur la rétine, que, sur les différents filets nerveux, les excitations causées par les différents points d’un objet se dispersent et se rangent dans un ordre qui correspond à l’ordre des points eux-mêmes. La disposition des points de l’objet n’est, il est vrai, qu’un phénomène du monde extérieur qui n’intéresse pas l’âme et ne l’engage à rien ; mais l’image formée sur la rétine n’est plus extérieure à nous-mêmes ; c’est un composé de mouvements nerveux, dont chacun implique une affection de l’âme ; la position de ces points nerveux en mouvement n’imposera-t-elle pas à l’âme la nécessité de donner les mêmes positions aux différentes sensations qui leur correspondent, dans l’espace qu’elle va se représenter ?

Voilà précisément le préjugé que nous avons à combattre. C’est un mince progrès de ne plus parler de tableaux réels se détachant des objets, et de leur substituer un système de mouvements nerveux, si cependant on persiste à faire entrer dans l’âme ce système tel qu’il est, avec toutes les relations locales de ses parties. Dans ce passage de dehors au dedans, il doit nécessairement arriver un moment où toute relation géométrique se perd sans laisser de traces et fait place à des relations d’un tout autre genre, qui lient entre elles des impressions purement intensives, sans qu’il subsiste aucune indication d’étendue et de position. Si néanmoins nous connaissons la vraie position des choses extérieures, ce n’est plus par une sorte de tradition, mais par une véritable reconstruction, que nous parvenons à cette connaissance. À l’aide de ces impressions intensives, l’âme doit créer de toutes pièces non pas un espace réel, mais cette intuition d’une étendue dans laquelle elle attribuera aux images des différents objets les positions qui leur conviennent. Si l’on ne peut pas construire, on peut du moins concevoir une lentille qui conden-