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ainsi dire dans son unité de moment en moment ; ce contact vient-il à être rompu, le désordre est jeté rapidement dans la foule des travailleuses. » — La fourmilière est, comme la ruche, une société maternelle, avec cette différence qu’elle contient fréquemment plusieurs mères. Les fourmis ont d’ailleurs des modes d’activité beaucoup plus variés que les abeilles ; elles creusent, sculptent, bâtissent, récoltent, chassent, se font esclavagistes, élèvent des pucerons, modifient leurs actes suivant les circonstances. Cette supériorité de la fourmi vient, selon M. Espinas, de ce qu’elle est un animal terrestre. « Sur terre, pas un mouvement qui ne soit un contact et n’apporte un enseignement précis, pas une marche qui ne laisse ses souvenirs ; une partie du sol occupé se peint, avec ses ressources et ses dangers, dans l’imagination de l’animal qui le traverse incessamment. De là une communication beaucoup plus directe et plus étroite avec le monde extérieur. »

Une phase nouvelle dans le développement de la société domestique est marquée par l’entrée du mâle. Cette complication commence dès la classe des poissons. En entrant dans la famille, le mâle joue tout d’abord un rôle tellement prépondérant qu’il va jusqu’à remplacer la femelle dans les soins donnés aux œufs. M. Espinas en donne beaucoup d’exemples. La femelle redevient, à partir des oiseaux, d’une manière normale, le centre de la famille ; mais le mâle l’aide en général à remplir sa tâche de mère. L’auteur passe en revue, dans toute la série des vertébrés, les associations monogames et polygames. On s’étonnerait — si l’absence de tout rapprochement avec les sociétés humaines ne semblait voulue dans cet ouvrage — que l’auteur n’ait pas fait observer que, dans les sociétés humaines primitives, ainsi que l’a montré Bachofen, dans son Mutterrecht, la mère a été d’abord le centre de la famille et que ce n’est que plus tard que la prépondérance sociale a passé au père.

Dans cette partie du livre, le point le plus intéressant pour le philosophe est la discussion sur l’origine de l’amour paternel. La question posée ci-dessus au sujet des mères se pose de nouveau à propos des pères. L’auteur en donne une explication assez vague p. (240-252). Suivant lui, l’individu qui est (ne l’oublions pas) une société, ressent pour toutes ses parties un intérêt qui n’est autre que l’instinct de conservation. Quand donc les produits de la génération s’échappent du milieu des éléments avec lesquels ils composaient tout à l’heure l’organisme des parents.il n’est peut-être pas surprenant que l’agrégat tout entier continue de ressentir pour eux, bien que séparés, le même intérêt manifesté de la même manière (protection, nourriture). L’amour paternel, et l’amour maternel lui-même, ne seraient ainsi qu’une extension de l’amour de soi, une application nouvelle de l’instinct de conservation.

La dernière forme de société animale que l’auteur ait examinée est celle qu’il appelle la peuplade. Elle consiste en réunions soit passagères soit permanentes d’individus. Dans cette forme — la plus haute —