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toujours la même, et que « nous ne trouvons jamais en nous que la formation, l’achèvement, la prépondérance d’une tendance qui provoque une expression, » et qui « correspond à la qualité commune et ne correspond qu’à elle. » Ce mot tendance a d’abord besoin d’être expliqué. Toutes les écoles expérimentales — on peut même dire toutes les écoles — admettent que quand nous pensons à une idée générale, telle que cheval ou arbre, ce qui se produit dans l’esprit c’est un défilé d’images vagues, à peine entrevues, qui semblent se fondre en une seule, résumé de leurs traits communs. C’est là ce que la conscience nous apprend, quand on l’interroge. M. Taine admettrait-il quelque chose de différent par sa tendance ? Nullement ; la tendance n’est pour lui que le résultat final. Si l’on admet que le travail mental qui se passe dans ce cas a pour condition un processus nerveux particulier, par exemple, l’ébranlement d’un assez grand nombre de cellules cérébrales, la résultante qui s’en dégage après des oscillations plus ou moins longues serait l’idée générale ; et comme cette résultante tend à se produire au dehors par un geste, surtout par un mot, on peut dire avec M. Taine que tout ce travail mental aboutit à une tendance. — Notons de plus que ce mot n’appartient pas à la langue de l’intelligence. La tendance est en dehors du mécanisme intellectuel, elle appartient à la partie affective de notre être. Ceci est tellement vrai que M. Taine nous dit (dans une note, p. 42) que si l’on compare les synonymes de deux langues, clergyman et ecclésiastique, God et Dieu, Liebe et amour, girl et jeune fille, on verra qu’ils ne signifient pas la même chose ; que le sens n’est le même qu’en gros. « Les détails du sens diffèrent et sont intraduisibles, faute d’objets et d’émotions semblables chez l’un et l’autre peuple. » Ce qui est curieux et ce qui ne se rencontre dans aucun autre psychologue de la même école, c’est ce point d’avoir noté le rôle latent de l’émotion, dans la formation des idées générales : fait psychologique exact et auquel l’auteur reviendra sans doute dans le traité qu’il nous promet sur les Émotions et la Volonté.

En ce qui touche sa théorie de la substitution à plusieurs degrés, on a dit, mais à tort, qu’elle est dans Condillac. Si l’on veut bien lire la Langue des Calculs (ce que malheureusement on ne fait guère), sans compter le plaisir d’y trouver un style si net, si exact, si limpide, que le meilleur langage philosophique de nos jours ne paraîtra plus qu’un jargon, on sera fixé sur ce point. Condillac ne se propose qu’une chose : montrer qu’à l’analogie se réduit tout l’art de raisonner, comme tout l’art de parler. L’arithmétique et l’algèbre seules lui servent d’exemples. Il veut faire voir comment « l’analogie nous fait parler dans cette langue, afin d’apprendre comment elle doit