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naville. — principes directeurs des hypothèses

l’esprit humain, pour obéir à l’une de ces nécessités qui opposent à la recherche de l’unité une barrière que l’esprit de système peut seul franchir. Les faits spirituels, en effet, sont d’un autre ordre que les phénomènes matériels. Entre la matière objectivement considérée et le plus faible élément de sensation ou de pensée, il existe un abîme infranchissable. En présence des faits, la réduction de ces deux ordres de phénomènes à un seul est donc une hypothèse impossible. C’est là ce que M. Wallace exprime en fort bons termes. On lui répond[1] : Lorsqu’on possède un principe il faut le suivre jusqu’au bout. Vous avez reconnu la valeur du transformisme pour l’explication de la formation des espèces animales, vous n’avez pas le droit de vous arrêter à l’homme. M. Wallace s’appuie sur une base d’observation très-sérieuse ; on lui répond par un argument purement théorique, par la nécessité logique de M. Oscar Schmidt. Périssent les faits plutôt qu’un principe !

En considérant avec attention la série d’hypothèses que nous venons de passer en revue, on ne saurait méconnaître qu’elles se sont produites sous l’influence de la recherche de l’unité, privée de ses contre-poids légitimes. Au commencement, nous étions en présence d’inductions sérieuses donnant naissance à des systèmes dignes d’une vérification expérimentale attentive ; mais, en avançant, l’hypothèse, si l’on me passe cette expression, a pris le mors aux dents. Pareil à la vapeur d’une machine qui fait explosion, le principe moteur de la science a brisé l’appareil qui devait régler son emploi, et produit des conjectures sans contrôle qui se perdent dans le vague des airs. C’est ici l’abus et non l’usage de la recherche de l’unité. C’est là le défaut de la théorie, mais c’est aussi la source de son prestige. Si elle s’était maintenue dans les limites d’une hypothèse appuyée sur une base sérieuse d’observations, elle n’aurait pas eu tant d’éclat. La part d’erreur contenue dans un système hardi est en général ce qui lui donne le plus grand lustre. Si Descartes avait seulement énoncé les grandes vérités qu’il a découvertes, le bruit fait autour de son nom aurait été moindre. Il a excité une admiration qui s’est élevée jusqu’à l’enthousiasme, parce qu’il a prétendu avoir trouvé l’explication de toutes choses. Le transformisme croit avoir levé tous les voiles et résolu toutes les énigmes. Cette audace peu justifiée est l’une des causes de son retentissement. La postérité plus calme fera la part de la vérité et de l’erreur.

Un fait digne de remarque, c’est qu’un esprit visiblement systématique se produit de nos jours dans la direction empirique de la

  1. Voir les éléments de cette discussion fort instructive à la fin de l’ouvrage de Wallace.