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L’astronomie nous offre un grand exemple de la même vérité. Newton pensait, comme nous l’avons déjà dit, que le système du monde tel qu’il existe devait, sous l’empire des lois qui nous sont connues, s’altérer à la longue et exiger une nouvelle intervention de la puissance créatrice. Laplace a réussi à démontrer que les lois connues suffisent pour remédier aux altérations signalées, et pour assurer, au moins pour une période d’une longueur immense, la stabilité du système du monde. C’est un progrès manifeste dans la conception de l’harmonie et de l’unité. Cette haute conception, Laplace l’a démontrée par l’observation et le calcul ; mais est-ce à l’observation fécondée par le calcul qu’elle doit son origine première ? En aucune sorte. On peut voir dans Maclaurin[1] que la thèse de Laplace était soutenue par Leibnitz contre les newtoniens. Laplace, sans doute, n’ignorait pas Leibnitz ; et nous savons, du reste, que de son propre aveu, il était placé sous l’influence du sentiment naturel à la raison qui la fait se complaire dans la simplicité des hypothèses.

Divers savants contemporains, entre lesquels M. Robert Mayer occupe l’une des premières places, ont émis la théorie de la constance de la force et de la transformation des mouvements. Si l’on s’arrête aux premières apparences, on pourra croire que cette théorie est née de la découverte de l’équivalent mécanique de la chaleur et de la généralisation de cette belle découverte. Il n’en est point ainsi. Descartes avait affirmé la permanence du mouvement de l’univers[2]. Il fut contredit, sous ce rapport, par Newton qui écrit, dans la trente et unième des questions placées à la suite de son Optique : « Le mouvement peut naître et périr… Il n’y a pas toujours la même quantité de mouvement dans le monde. » Et plus loin, dans la même question, en écartant le cas de l’élasticité : « Si deux corps égaux allant directement l’un vers l’autre avec des vitesses égales, se rencontrent dans le vide, par les lois du mouvement ils s’arrêteront à l’endroit où ils viendront à se rencontrer, perdront tout leur mouvement et demeureront en repos. » Clarke ayant soutenu la même thèse, Leibnitz lui répondit : — « J’avais soutenu que les forces actives se conservent dans le monde. On m’objecte que deux corps mous, ou non élastiques, concourant entre eux, perdent de leur force. Je réponds que non. Il est vrai que les Touts la perdent par rapport à leur mouvement total ; mais

  1. Exposition des découvertes philosophiques, de M. le chevalier Newton. Livre I, chapitre iv, page 87.
  2. Voir en particulier Le Monde, chapitre 3, et les Principes de la philosophie, partie II, § 36.