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naville. — principes directeurs des hypothèses

avec les lois de l’univers, et qui la prémunissent ainsi contre les atteintes du scepticisme, mais les tendances de la raison que l’expérience vient justifier ont été le principe directeur, et non pas le résultat de l’expérience. L’homme, en effet, comme le dit M. Bertrand, — « croit en dehors de toute démonstration à l’harmonie de l’univers et à la simplicité de son mécanisme[1]. » Si la pensée de l’harmonie universelle était une induction de l’expérience, on la verrait se développer et s’affirmer à mesure que la base d’observation s’étend ; or, ce n’est point le cas. Les affirmations les plus hardies auxquelles puisse s’élever la science contemporaine, ne sauraient dépasser sous ce rapport les affirmations des pythagoriciens. M. Bertrand observe, à l’appui de sa thèse, que l’histoire de l’astronomie dans l’antiquité nous montre l’esprit humain allant au-devant de la vérité expérimentale pour affirmer comme par avance la beauté et l’ordre général du système du monde. Des exemples tirés d’autres sciences vont nous offrir la confirmation de cette pensée.

Les progrès de la chimie contemporaine ont eu pour effet d’augmenter considérablement le nombre des corps simples que les anciens réduisaient à quatre ; mais ces corps irréductibles, dans l’état actuel de la science, sont-ils vraiment des éléments primitifs ? Le 9 janvier 1866, M. le professeur Marignac disait, à l’Athénée de Genève, que différents faits révélés par l’observation, éveillent naturellement la pensée que nos corps simples pourraient bien avoir une origine commune, c’est-à-dire être les combinaisons diverses d’atomes primitifs semblables. Il ajoutait que les agents physiques dont nous disposons et que nous voyons agir dans la nature : la chaleur, l’électricité, l’affinité, ne peuvent pas décomposer nos corps simples et ne paraissent pas avoir contribué à leur formation première, d’où il concluait que l’existence d’une seule matière primitive restera toujours une pure théorie. Nous ne pourrons pas, dans nos laboratoires, désagréger les éléments primitifs d’un corps pour en faire un autre ; nous ne pourrons pas séparer les atomes élémentaires que nous pouvons supposer former du plomb pour en faire de l’or en les combinant autrement, ce qui réaliserait le rêve des alchimistes ; mais nous pouvons concevoir que ce que nous ne saurions faire soit pourtant l’explication réelle des choses. On voit ici l’idée de l’unité faire son apparition dans l’esprit d’un savant éminemment circonspect et sérieux. Cette idée est-elle venue à la suite des observations relativement récentes qui ont révélé les équivalents chimiques, les rapports entre le poids des atomes, etc. ? Nullement. En 1815, William Prout avait émis l’hypothèse que tous les corps

  1. Les fondateurs de l’astronomie moderne, — 3e édition, page 113.