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l’ensemble. Si donc l’art doit représenter l’idée, non d’une manière étroite, exclusive, mais dans sa totalité, il ne doit pas écarter le laid. Le pur idéal doit sans doute le constituer, il est toujours le moment important du beau, il est le côté positif ; mais si la nature de l’esprit, dans sa profondeur dramatique, doit être représentée, le côté naturel, le laid, le mauvais, le diabolique même, ne doit pas y manquer. Les Grecs, quoiqu’ils vécussent dans l’idéal, avaient cependant leurs Hécatonchires, leurs Cyclopes, leurs Satyres, leurs Érynnies, leurs Harpies, leurs Chimères. Ils avaient un dieu boiteux. Dans leurs tragédies, apparaissent les crimes les plus affreux, la folie d’Ajax, la plaie dégoûtante de Philoctète. Ils représentaient dans leurs comédies les vices honteux, les licences de toute sorte. Avec la religion chrétienne, elle qui apprend à connaître le mal dans sa racine et à le vaincre, le laid a été tout à fait introduit dans le monde de l’art.

Ainsi, d’après ce principe (la manifestation de l’idée dans sa totalité), l’art ne peut éviter le laid. Il doit l’admettre comme élément intégrant et nécessaire. Ce serait une conception de l’art superficielle, que de vouloir se borner au simple beau.

« Il ne s’en suit pas cependant, que le laid soit esthétiquement sur le même pied que le beau. Son origine secondaire met ici une grave différence. En effet, le beau, parce qu’il s’appuie sur lui-même, peut être représenté par l’art en soi, absolument et pour lui-même, sans rien qui soit à l’arrière-plan et forme le fond du tableau. Le laid n’est pas capable esthétiquement d’une telle indépendance. Dans la réalité, sans doute, il va sans dire que le laid peut aussi apparaître isolément ; mais esthétiquement, dans l’art, le donner à contempler d’une manière abstraite, cela n’est pas permis. En effet, esthétiquement, il doit se refléter dans le beau où il a sa condition, la raison d’être de son existence. »

Nous savons gré à l’auteur de s’être étendu sur ce point et d’avoir exprimé aussi nettement sa doctrine. Pour notre part, nous l’adoptons pleinement ; elle contredit, on le sait, celle du faux romantisme où le laid est donné comme ayant les mêmes droits que le beau, et se pose en dehors de lui ou à côté de lui sur un pied d’égalité. Il faut rendre cette justice à l’esthétique hégélienne qu’elle n’a jamais hésité sur ce point. Elle soutient énergiquement, dans le maître et dans les disciples, la supériorité du beau et la subordination du laid, tout en faisant à celui-ci une place qui, d’après le système, est toute autre que celle qui lui est donnée dans la théorie commune.

Le laid peut donc apparaître accidentellement à côté du beau, en