Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
254
revue philosophique

ferme une profonde contradiction de la volonté avec son idée. Cette contradiction doit se trahir extérieurement. Certaines perversités ou vices acquièrent une expression physionomique déterminée. L’envie, la haine, le mensonge, l’avarice, la débauche se façonnent leur forme propre. On remarque chez les voleurs un regard incertain, oblique, furtif (fur, fureter), qui a quelque chose de repoussant. Quand on visite une grande prison, qu’on entre dans une salle où les femmes travaillent, on peut saisir ce regard spécifique de l’œil qui épie, indice de la mauvaise ruse. Plus grande encore doit être la laideur, lorsque le mal est voulu en soi et pour lui-même. Il y a cependant une restriction à faire. Quelque paradoxal que cela paraisse, la perversité en soi, lorsqu’elle est habituelle comme ensemble systématique, fixée, produit une certaine harmonie de la volonté qui par là perce aussi dans l’apparence et en adoucit esthétiquement les formes. Les écarts du vice momentané peuvent avoir souvent une expression plus désagréable, quelque chose de plus choquant, de plus aigu que la perversité foncière, absolue. Le vice grossier est plus frappant. La profondeur ou plutôt le vide du vice se révèle avec moins d’intensité dans les traits et l’expression habituelle du visage. Elle peut exister sans fournir matière à la justice criminelle. Le riche, avec son vernis d’éducation, son égoïsme raffiné, son art de corrompre les femmes, ses mœurs d’homme blasé qui s’ingénie à inventer des moyens d’échapper à l’ennui, tombe souvent dans le dernier degré de la perversité. » Mais ici encore la laideur morale est l’œuvre de la liberté ; l’animal en est incapable.

Ainsi, on le voit, dans cette théorie, tout est ramené à la liberté comme principe ou cause véritable de la laideur aussi bien que delà beauté morale. Nous ne pouvons nous empêcher de faire ici une réflexion. C’est que cette théorie contredit celle de Kant et de tous ceux qui, avec Kant, font de la liberté un noumène, un objet transcendantal. En effet, cette liberté, qui joue un tel rôle dans le domaine esthétique, apparaît ici dans le monde phénoménal ; elle s’y rend visible. Le disciple de Hegel le dit lui-même formellement, et il a raison. « Ce n’est nullement une chose transcendantale que la liberté, le mal est le fait propre de l’homme, et il est aussi la cause de ses suites. »

Ce qui suit a, pour nous, moins d’intérêt. Cependant nous trouvons encore une idée d’un ordre élevé que nous ne pouvons omettre. D s’agit de la forme humaine, de sa beauté spécifique. La laideur peut l’altérer, mais elle reste identique et conserve son unité, malgré les causes accidentelles qui peuvent l’amoindrir. « Puisque l’homme a en soi un côté physique, il est clair que, chez lui aussi, les mani-