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et que c’est elle principalement qui fait de moi l’image et la ressemblance du Créateur. Pour nous, le libre arbitre individuel est une fin en soi, un attribut qui mérite de se manifester et de subsister pour lui-même, et une puissance dont l’action est capable de rompre plus ou moins définitivement le fil de la continuité historique. L’esprit français est donc naturellement porté à faire aussi grande que possible la part du libre arbitre dans les choses humaines. L’écueil est, pour lui, de faire cette part trop grande, et par crainte du fatalisme historique, de ne plus voir, dans la série des faits intellectuels, que les libres conceptions d’esprits individuels, presque indépendants les uns des autres.

La vérité se trouve sans doute entre les deux systèmes, dans une doctrine qui affirme, en dépit des hésitations de l’entendement, que le libre arbitre et l’unité idéale sont, l’un comme l’autre, des fins en soi, ou plutôt que chacun de ces deux principes est moyen et fin par rapport à l’autre, et qui, par suite, tient, en théorie, la balance égale entre le but et l’agent, entre la continuité et la discontinuité, entre l’ensemble et l’individu, s’en remettant, sans aucun parti pris, à l’observation des faits pour déterminer la proportion du contingent et du nécessaire dans la succession des événements réels.

Ém. Boutroux.
(La fin prochainement.)