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l’intelligence, éléments non figurés, appartiennent à la quatrième dimension de l’espace où l’œuf d’un singe et l’œuf d’un homme sont aussi distincts, sous tous les rapports, qu’un singe et un homme adultes nous paraissent éloignés au point de vue de l’intelligence.

Nous voici bien loin de la physique expérimentale où nous avons puisé les bases de cette spéculation. Moins hardis peut-être, les partisans de l’action au contact ne nous conduisent pas tout à fait aussi loin ; mais leur idée de milieu continu, élastique, pénétrable, est aussi inintelligible que les spéculations des atomistes, et soulève d’égales difficultés. Qu’est-ce qu’un milieu différent des milieux ou corps matériels, pour l’explication desquels on l’imagine ? Qu’est-ce que le contact, la pression, l’élasticité ? Autant de symboles analytiques, liés entre eux de manière à s’adapter à la réalité des choses, toujours voilée pour nous. Et quelles fantastiques propriétés il faut attribuer à ce milieu « tendu comme une corde dans le sens des lignes de force, et comprimé perpendiculairement à leur direction[1] » pour l’explication des phénomènes électriques ; condensé autour de la matière (si tant est que la matière s’en distingue) pour expliquer les phénomènes de l’optique, etc., etc. !

Il me semble que M. Maxwell, partisan très-chaud des actions de milieu et de contact, a donné lui-même aux physiciens le fil conducteur qui doit les empêcher de s’égarer au milieu de ces hypothèses contradictoires sur le mode d’existence et d’action de la matière. Il a montré que la notion des lignes de force de Faraday, et par suite du milieu invoqué par lui, dérive par une transformation purement algébrique de la loi des actions électriques, énoncée par Coulomb. Dans les intégrales qui se rapportent à l’action d’un corps électrisé sur un autre, il est possible d’opérer des substitutions qui transportent le siège de la force d’un point électrisé, où on la supposait concentrée, en tous les points de l’espace ambiant ; de telle sorte que les centres électriques deviennent de véritables masses voguant au sein d’un milieu actif et continu. Les deux manières d’envisager les phénomènes sont analytiquement équivalentes, et concordent dans toutes les conséquences pratiques auxquelles l’une des deux peut conduire : elles sont donc indifférentes au point de vue expérimental. Le débat ne peut plus s’élever à cet égard ni entre les physiciens, qui ne sauraient le trancher par l’expérimentation, ni entre les mathématiciens pour lesquels les deux manières de voir sont équivalentes.

La conclusion ne serait-elle pas que la constitution intime de la matière est, de soi, lettre close pour nous ? Bien des physiciens répéteront après M. Von Lang, cette définition de l’explication dans les sciences physiques : expliquer un phénomène c’est le rendre exprimable au moyen de trois quantités fondamentales, la longueur, le temps, et la masse, dont on ne discute pas la nature. Aller plus loin, c’est raisonner sur l’inintelligible et donner la vie à de purs symboles.

E. Bouty.

  1. Maxwell, Traité de l’électricité, tome 1er.