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analyses.zœllner. Theorie der materie.

lois essentiellement abstraites de la mécanique, et cherchent à s’en faire un point d’appui pour passer à l’étude de la matière réelle.

Sommes-nous atomistes ? Pour expliquer les corps, nous les constituons de corps plus petits doués de masse et entre lesquels s’exercent des forces. Que sont maintenant ces corps très-petits ? leur conserverons-nous l’étendue comme une propriété caractéristique ? Dans tous les cas nous ne pouvons nous passer de leur attribuer une masse, si nous voulons faire une mécanique moléculaire à l’image de la mécanique des corps rigides : quant à la force, nous en faisons une de leurs propriétés, sans expliquer en quoi elle consiste, et si elle rend les atomes qui la possèdent des êtres à quelque degré semblables à nous.

Comme d’ailleurs la force n’est là qu’un représentant analytique d’un fait expérimental, le mouvement, il paraîtra assez indifférent que cette force s’exerce suivant une loi plutôt qu’une autre, pourvu que l’équation des forces intégrée, deux fois, fournisse le mouvement dont on a besoin. Une force qui s’exerce suivant la distance seule n’est, à ce point de vue, ni plus intelligible ni plus naturelle qu’une force dépendant de la vitesse et de l’accélération comme celles que M. Weber introduit. Et si l’on est conduit par cette hypothèse à dire que des atomes se traversent, ou peut soutenir à la rigueur qu’il n’y a pas là de contradiction.

Un corps ne peut agir que là ou il est, disent les partisans de l’action du contact. Où est un corps sinon ou il agit ? répondent leurs adversaires. En limitant un corps, comme la terre par exemple, au point où l’organe du tact cesse d’être influencé, ne commettez-vous pas une pétition de principes, si la lune, dans son orbite, est sensible à une influence lointaine que le tact ne vous révèle pas. Chaque atome, à ce sens, remplit et pénètre l’espace infini ; et il n’est pas plus singulier que les centres de deux atomes coïncident à un moment donné, qu’il n’est surprenant que la coïncidence puisse être réalisée en tout autre point, où l’action se manifeste par le mouvement produit.

Il est évident que nous arrivons ici à un degré d’abstraction aigu, et qu’il ne subsiste plus rien de ce que notre imagination peut figurer. M. Zœllner cherche à retrouver terre, en faisant d’une autre abstraction mathématique, l’espace à quatre dimensions, une réalité où il cherche la raison de tout. Pourquoi deux atomes, infinis dans l’espace, se pénètrent-ils en demeurant distincts ? Parce que l’espace à trois dimensions n’est qu’une projection d’un autre espace dans lequel ils sont entièrement séparés, et dans lequel, bien entendu, un corps n’a pas besoin d’être là où il agit. Pourquoi l’œuf d’un singe[1] et l’œuf d’un homme, si semblables que le plus habile embryologiste n’arriverait pas à les discerner, donnent-ils naissance l’un à une bête, l’autre à une créature intelligente ? Ils sont plus que semblables, ils sont identiques, répond M. Zœllner, tout au moins dans l’espace à trois dimensions : la raison et

  1. Voir dans la préface, p. 86. M. Zœllner fait remonter à Platon la notion qu’il nous propose, et cite le passage de la République, sur la Caverne, auquel nous renverrons le lecteur.