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spéciales, qui accueillent ou repoussent d’abord telle ou telle solution. Rien ne les avertit du rôle que joue le sujet dans la connaissance ; rien ne les sollicite à réfléchir sur l’étendue et la limite des facultés qu’ils mettent en jeu : ils se confient donc naïvement à l’objet sous sa forme la plus externe, et se mettent, en quelque sorte, à son école, comptant que, de lui-même, il leur révélera sa nature. Leurs recherches, en un mot, sont exemptes d’esprit critique. Elles présentent expressément le caractère de l’objectivisme et du dogmatisme. L’esprit, tout absorbé dans la nature, voit en elle la substance et la cause de toutes les déterminations dont il prend conscience.

C’est ainsi que la philosophie débute naturellement par l’erreur ; et que cette erreur consiste à ériger dogmatiquement le contenu actuel de la raison, à savoir une notion contingente et incomplète du monde sensible, en explication universelle et nécessaire, conforme à l’idéal philosophique lui-même. Mais ce n’est là, pour la pensée, qu’un point de départ ; et bientôt se produit en elle une évolution qui obéit à une loi de plus en plus précise.

2. L’erreur est, de sa nature, instable et caduque[1]. Car elle implique une double contradiction, à la fois interne et externe ; or, ce qui est en lutte, et avec soi-même, et avec les forces extérieures, est destiné à périr.

L’esprit qui affirme l’erreur est en contradiction avec lui-même. Car son essence est la forme de l’universel et de l’un, et l’erreur est la combinaison de cette forme avec une matière inadéquate. Or, tant que l’esprit est à peine réalisé, cette contradiction n’existe guère elle-même qu’en puissance ; mais à mesure que l’esprit, un centre d’attraction, groupe davantage autour de lui les éléments qui ont de l’affinité pour sa nature, et accroît, par là même, son être et l’énergie de son action, la lutte entre l’essence et l’accident, entre le tout et la partie, entre la loi et le fait, devient de plus en plus inégale. L’organisme, une fois constitué, repousse ce qui n’entre pas dans son concert. C’est ainsi que le contingent, qui est le désordre même, recule devant le nécessaire, qui est l’ordre, à mesure que celui-ci acquiert plus de réalité et de consistance.

D’ailleurs, l’erreur n’est pas seulement en contradiction avec la vérité : elle est aussi en contradiction avec les autres erreurs. Il n’y a pas d’harmonie profonde et durable dans le domaine du faux ; et c’est une nécessité que le"s puissances qui sont en lutte avec la vérité soient aussi en lutte les unes avec les autres. Ce qui n’est pas l’un et l’infini ne peut qu’être multiple et fini : ainsi l’opposition et l’anta-

  1. Cf. Theol. Jahrb, ' VI, 222.