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naville. — principes directeurs des hypothèses

physicien spécial et n’intervient, en ce qui concerne ce monde inorganique, que lorsqu’on considère le monde dans sa totalité, et qu’on veut rendre compte des conditions générales de son existence. L’idée du but est, au contraire, le principe directeur des hypothèses proprement biologiques, c’est-à-dire de celles qui ont directement pour objet les lois de la vie, et non les lois physiques et chimiques qui trouvent toutes leur objet d’application dans les corps vivants, et rendent compte des manifestations de la vie, mais non de la vie elle-même, dans le même sens que les lois mathématiques trouvent leur application dans les phénomènes matériels, mais sans que la déduction mathématique pure puisse établir une seule des lois de la physique.

On ne saurait nier légitimement la valeur de ces considérations en disant que, dans l’étude des corps vivants, le physiologiste constate des usages et non des buts. Un usage peut être l’objet d’une simple constatation, mais la recherche d’un usage implique la présupposition d’un rapport de moyens à un but, l’idée d’un plan intelligible dont on cherche à pénétrer le secret. Demander : quelle est la fonction de cet organe ? c’est admettre que l’organe a une fonction ; et l’analyse de l’idée d’une fonction révèle l’idée d’un but. Les théoriciens les plus hostiles à la recherche des causes finales ne sauraient se défaire de cette idée, dès qu’ils mettent le pied sur le terrain de la physiologie, et il est facile de surprendre dans leurs écrits le savant qui suit les lois de la science en pleine contradiction avec le philosophe.

La proscription systématique des causes finales date surtout de Bacon et de Descartes, c’est-à-dire de l’époque où ont été posées les bases de la physique moderne, dans l’absence de travaux biologiques sérieux. Je n’ai pas à examiner ici les origines métaphysiques d’une des rares opinions communes à Bacon et à Descartes, mais je dois remarquer que l’emploi des causes finales a donné lieu à des abus manifestes qui expliquent, sans la justifier, la proscription absolue que l’on a voulu prononcer contre elles. On a semblé croire quelquefois que l’idée du but offrait une explication complète et suffisante des phénomènes ; c’était arrêter l’essor de la recherche. Il est certain que le but ou le pourquoi ne saurait dispenser de l’étude de la cause physique ou du comment. Reconnaître que les poumons ont pour fonction l’acte de la respiration, ne dispense assurément pas d’étudier le mécanisme et la nature physico-chimique de cet acte. Ce sont deux recherches nécessaires et distinctes dont l’une ne saurait, en aucune façon, remplacer l’autre. On a compromis aussi la cause finale en la présentant avec un caractère exclusif qui n’est pas