Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
a. binet. — perception des longueurs et des nombres

Il me paraît donc assez bien démontré que, dans les conditions précédentes l’enfant ne pouvait pas comparer réellement des nombres supérieurs à 5 et à 6 ; et comme la comparaison est la condition de toute perception, il s’ensuit que cet enfant ne pouvait pas percevoir exactement un nombre supérieur à 6. Si limitée qu’elle soit, cette numération instinctive dépasse de beaucoup la numération verbale apprise, qui, chez l’enfant examiné, ne dépasse pas le chiffre 3.

Je me suis longuement étendu sur ces expériences parce qu’elles sont très délicates, et que si je n’en avais pas donné le détail complet, on n’aurait pas compris la méthode employée. Je crois que ces expériences contiennent des renseignements psychologiques intéressants ; elles nous montrent qu’en somme chez l’enfant que j’ai étudié la perception de la grandeur continue se fait plus facilement et plus exactement que la perception du nombre, et, de plus, elle nous permet d’établir avec une assez grande sûreté les limites de la perception du nombre, de la numération proprement dite.

Nouvelles expériences sur la perception des nombres.

Le lecteur a dû être frappé du résultat auquel nous venons de parvenir. Chez les petits enfants soumis à notre observation, la perception et la comparaison des longueurs se font avec une remarquable justesse ; au contraire, la perception des nombres est extrêmement grossière et défectueuse. Je me suis demandé si une si grande différence entre ces deux modes de perception était bien réelle, ou s’il ne fallait pas l’attribuera une différence dans nos méthodes d’observation. Il m’a donc paru tout à fait nécessaire d’étudier à nouveau la perception des nombres chez nos deux enfants, en employant des procédés un peu différents.

Voici comment j’ai disposé ces nouvelles expériences ; je montre à l’enfant un petit nombre d’objets réunis sur une table, comme 2 plumes, 3 graines, ou 4 jetons, etc. J’attire son attention sur ces objets ; puis, quand il a eu le temps d’en percevoir le nombre, je prends tous ces objets, je les cache dans ma main, et j’en dépose un seul sur la table, devant l’enfant, en lui demandant : « Y en a-t-il encore ? » Si l’enfant répond affirmativement, je place devant ses yeux un second objet et ainsi de suite. Je m’efforce bien entendu de toujours poser la question dans les mêmes termes, et avec le même timbre de voix, de façon à ne pas dicter une réponse ; et, de plus, en replaçant les jetons sur la table, je cherche à ne pas les disposer dans le même ordre qu’auparavant.

Supposons, pour prendre un exemple, que l’épreuve ait été faite avec 3 jetons. Si l’enfant, en revoyant le second jeton, dit qu’il n’y