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peu sur ce point. Si on lui montre un groupe de 4 objets, elle dira par exemple qu’il y en a 6. Ce mot six n’a pas, comme on pourrait le croire, la valeur de notre mot quatre ; car à une autre occasion, si on lui montre encore un groupe de 4 objets, elle dira un chiffre tout à fait différent, par exemple 42.

Au risque de me répéter à satiété, je dirai encore une fois que la première condition de ces expériences est de bien fixer l’attention de l’enfant. Je préfère être seul avec lui dans sa chambre, afin qu’aucune personne étrangère ne le distraie. Je cherche surtout à l’intéresser aux expériences, et je veille à ce qu’il ne s’ennuie pas. Quelquefois la petite fille disait : « Je commence à m’ennuyer », ou bien, plus malicieusement, elle exprimait le même sentiment en disant : « Je crains de te fatiguer » ; dès lors, je suspendais tout sur-le-champ. Mais parfois j’avais la bonne fortune d’entendre dire à l’enfant : « Encore ! cela m’amuse ». J’étais sûr alors que son attention était en éveil, et je cherchais à profiter de ses bonnes dispositions.

Ces recherches ne pouvant être faites que par la méthode des cas vrais ou faux, j’ai toujours soin d’indiquer le total des réponses bonnes ou mauvaises, afin que le lecteur juge lui-même si la conclusion est due ou non au hasard.

Pour reconnaître si un enfant peut percevoir des nombres sans savoir compter, j’ai pensé qu’il serait avantageux de disposer devant lui deux groupes d’objets semblables, et de lui faire indiquer dans quel groupe les objets sont en plus grand nombre. En variant la différence entre les deux nombres, on peut arriver en tâtonnant à la plus petite différence perceptible. Je me suis servi pour cela de divers objets, des sous, des plumes, des jetons et surtout des graines de haricot, qui présentaient l’avantage d’intéresser l’enfant plus que d’autres objets de forme plus régulière. En rendant compte de ces expériences, je me servirai du terme générique de jeton.

Je dispose donc à côté l’un de l’autre sur une table un groupe de 15 jetons et un second groupe de 18 jetons de même grandeur ; les jetons ne sont pas empilés en tas, mais rapprochés irrégulièrement les uns des autres sur le même plan. La petite fille reconnaît rapidement le groupe le plus nombreux. Je modifie chaque fois les deux groupes, et je rends tantôt le groupe de droite plus nombreux ou moins nombreux que celui de gauche par l’addition ou la soustraction de quelques unités ; mais le rapport de 14 à 18 reste toujours le même. Six essais sont faits, la réponse de l’enfant est toujours exacte. Pour augmenter la difficulté, le rapport de 15 à 18 est remplacé par celui de 16 à 18 ; sur neuf essais, pas une erreur de la part de l’enfant ; avec le rapport de 17 à 18, sur neuf essais, l’enfant dit juste 8 fois et