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a. binet. — perception des longueurs et des nombres

térêt qu’il y aurait à savoir si, comme mes observations semblent l’indiquer, le développement intellectuel débute par les fonctions inférieures, qui peuvent atteindre un degré très élevé, et terminer presque leur évolution, à un moment où les fonctions supérieures sont encore dans un état rudimentaire.

2o Perception des nombres.

Je me suis demandé comment peut se faire la perception des nombres chez un enfant qui ne sait pas compter. Bien avant de savoir compter, un enfant se fait une idée à lui des nombres. Il sait ce que c’est d’avoir beaucoup de billes ou d’en avoir très peu ; il se sert donc d’une numération instinctive, et probablement insconsciente, avant de connaître la numération verbale, que nous sommes chargés de lui apprendre. Les auteurs du reste ont fait plusieurs observations intéressantes à ce sujet. M. Preyer en rapporte quelques-unes. Il parle d’un enfant de dix mois auquel il était impossible d’emporter une de ses neuf quilles sans qu’il s’en aperçût ; à dix-huit mois, cet enfant savait parfaitement bien s’il lui manquait un de ses dix animaux ou non. L’enfant de Preyer avait été habitué à apporter à sa mère deux mouchoirs qu’il remportait ensuite à leur place ; il ne lui en fut rendu un jour qu’un seul ; il vint chercher le second avec un regard et des intonations qui indiquaient son désir de l’obtenir. Cet enfant avait alors dix-huit mois[1].

Bien que les observations du genre des précédentes me paraissent d’un grand prix, elles restent un peu superficielles, comme en général toutes les observations provoquées par le hasard ; la question de la numération instinctive vaut la peine d’être examinée soigneusement au moyen d’expériences méthodiques.

La petite fille de quatre ans et trois mois que j’étudie en ce moment ne sait heureusement ni lire ni compter, et ses parents font sagement en retardant autant que possible le début de son instruction. On lui a appris, comme amusement, quelques noms de chiffres et quelques lettres ; mais cela s’est fait à bâtons rompus, comme par hasard, et au moment où l’expérience commence, voici à peu près à quoi se réduisent les connaissances de cet enfant en calcul ; elle sait compter jusqu’à 3 objets ; elle distingue 3 haricots, de 2 haricots ; 3 livres, de 2 livres, etc., et les compte exactement ; au delà de ce nombre 3, elle dit les chiffres tout à fait au hasard, et par conséquent la numération parlée ne lui est plus d’aucun secours ; j’insiste un

  1. Op. cit., p. 295.