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h. joly. — la folie de j.-j. rousseau

bâtissait reposaient sur un fond réel. Donc là encore le trait caractéristique de la véritable aliénation fait défaut.

V

Nous voici maintenant bien en mesure d’examiner de plus près les divers diagnostics qu’on a portés sur l’état mental du grand écrivain.

On lui a successivement attribué plusieurs variétés de folie, et il faut avouer que divers passages des Confessions où il s’est mis absolument à nu, devaient fournir de spécieux prétextes. Ces accusations offrent d’ailleurs un intérêt psychologique qui n’est point à dédaigner : elles servent à mieux marquer la différence de la folie vraie et de certains états qui y ressemblent très superficiellement par l’apparence extérieure des actes.

Ainsi, à propos d’un épisode du premier livre des Confessions, on lance à notre auteur l’épithète d’exhibitionniste — mot ingénieux inventé par les aliénistes pour exprimer le plus décemment possible une manie outrageante pour la pudeur. Or, cette manie a été bien étudiée, et les caractères cliniques en ont été fixés avec précision : périodicité et instantanéité de la sensation, absence d’antécédents immoraux, absence de toute préoccupation ultérieure, aucune recherche d’aventure ni de plaisir ; tous ces caractères marquent bien un délire qui est venu spontanément s’insérer de toutes pièces dans le développement commencé des caractères. Ce délire mène à des actes qui n’ont aucun rapport ni avec l’éducation de l’individu, ni avec sa moralité ou son immoralité déjà acquises. Or, qu’a été l’épisode ridicule et honteux du jeune Jean-Jacques ? Tout simplement l’acte d’un polisson dont les sens étaient déjà tentés et qui, « ne pouvant contenter ses désirs [habituels], les attisait par les plus extravagantes manœuvres »[1]. C’est lui-même qui nous donne cette véridique explication.

Une accusation plus vraisemblable et sur laquelle on insiste davantage est celle de mégalomanie. M. Brunetière s’en prend ici à l’orgueil de Rousseau ; c’est à cet orgueil exalté qu’est due, suivant lui, cette manie de tout exagérer ; il veut grossir, par exemple, son importance, en grossissant ses défauts, ses vices et ses malheurs.

Que Rousseau ait été orgueilleux, c’est ce dont, pour ma part, je ne doute pas, quoiqu’il l’ait été, par exemple, beaucoup moins que Voltaire. Qu’il ait tout exagéré, cela est encore évident. Mais l’ordre dans lequel les faits psychologiques s’amènent et se succèdent a une

  1. Voy. 1re partie, livre III.