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et chrétienne ; on risquait ainsi de donner une idée à la fois insuffisante et inexacte de l’origine et des trois branches de l’école d’Alexandrie, anté-chrétienne, chrétienne et anti-chrétienne, sortie des proseuques alexandrins et devant, après des siècles de lutte, fonder et assurer les principes de la théologie chrétienne, asservir au dogme la libre philosophie des Grecs, mais aussi donner à la foi et à la pensée moderne, qui saura se délivrer de la scholastique, une théorie maîtresse inconnue au paganisme, celle de l’esprit pur.

Tandis qu’en France on ne tirait aucun profit des patientes recherches commencées par nos savants du xvie et du xviie siècle, elles devenaient en Allemagne le point de départ d’une série continue d’ouvrages consacrés à la philosophie allégorique et à son représentant le plus célèbre, sinon le mieux connu, le plus original et le plus fécond, Philon d’Alexandrie. Voici que de la patrie de Mangey, l’éditeur jusqu’en ces derniers temps le plus autorisé des œuvres philoniennes, nous arrivent des travaux qui prouvent qu’on y étudie encore de près les doctrines du grand penseur juif. Après la traduction complète des œuvres de Philon donnée par M. Yonge (1854) et les fragments de Philon publiés (1886) par M. Harris, qui sont surtout des œuvres d’érudition, les deux volumes de M. D. sur Philon et l’école judéo-alexandrine, constituent une étude philosophique d’un grand intérêt puisée aux sources, appuyée sur une critique des textes, ingénieuse autant qu’intéressante, mettant enfin pleinement en lumière l’unité systématique des théories philoniennes.

Après une rapide introduction (1-26) consacrée à la biographie de Philon et à un coup d’œil général sur l’alexandrinisme juif, l’auteur essaye de résumer dans les trois chapitres et l’appendice du livre premier (pages 27-131) la philosophie grecque, d’Héraclite aux stoïciens, en insistant surtout sur les vues qui durent inspirer Philon et notamment sur la doctrine du Logos. Le second livre (pp. 131-257) retrace la genèse et l’évolution de l’école judéo-grecque jusqu’à l’époque de Philon, qui va opérer et parfaire cette fusion de l’hellénisme et du judaïsme, d’où sortira la civilisation communément appelée chrétienne. Après quelques pages réservées à l’Ancien Testament, M. D. étudie l’Ecclésiaste, les Septante, les Oracles sibyllins et la Sagesse de Salomon dans un chapitre qui est de beaucoup le plus intéressant et le plus original de cette section : il y trouve une conception philosophique complète de l’univers et un mélange intime et encore sans précédent de la philosophie grecque et des dogmes juifs. Mais qu’est-ce que cette Sagesse qui prend la place du Logos hellénique ? L’auteur se refuse à y voir une hypostase : elle n’est encore qu’une personnification poétique de la parole de Dieu. Toutefois la doctrine philonienne du Logos est préparée ; le Logos et la Sagesse, d’abord associés, vont s’identifier ; l’allégorie le retrouvera dans l’Ancien Testament et la philosophie païenne s’introduira dans le sanctuaire de la Loi, surtout avec Philon.

Les trois chapitres du livre suivant traitent, le premier de l’origine