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fr. paulhan. — le nouveau mysticisme

Le mouvement précédent vers l’athéisme dans le monde, vers l’individualisme en politique, vers la libre pensée, vers l’émancipation à l’égard de la tradition et de la règle, à l’égard de la morale même (car ceci fut un des côtés les moins avoués, mais non les moins visibles du changement) avait ses inconvénients aussi, et nous a conduits à une anarchie intellectuelle et morale qui aurait ses périls, si d’ailleurs elle n’était pas une condition favorable à l’éclosion d’un esprit nouveau qui emprunterait au passé ce qu’il avait de bon, sans renier les conquêtes du présent ; en laissant le champ libre aux idées nouvelles, en favorisant jusqu’à un certain point l’initiative individuelle, il a rendu service ; l’un de ses plus graves inconvénients serait d’avoir préparé et rendu possible une réaction trop forte ou mal dirigée. Il importe de ne pas satisfaire les besoins qui se réveillent par les moyens qui ont échoué déjà et qui échoueraient encore. Beaucoup de « penseurs » sont déjà las de leur indépendance et cherchent une foi commune qui puisse les réunir. Le tout est de savoir comment, à qui, sur quel terrain ils se réuniront. Il ne faut pas que l’union nouvelle aboutisse prochainement à une nouvelle séparation. Je sais bien qu’on échappe en partie à l’apparence de la séparation en en acceptant la réalité, en conservant les rites, les habitudes, les formules, les symboles, tandis que les croyances s’évanouissent, et puis il y a tant de manières d’interpréter un texte sacré ou même une décision de concile ou de choisir parmi les textes sacrés, que bien des esprits y peuvent trouver satisfaction. Que des sentiments très respectables puissent se manifester ainsi, nul ne le contestera. Un grand historien mort récemment désira, par respect pour les croyances de nos ancêtres, croyances qui n’étaient plus les siennes, que son corps fût inhumé avec les cérémonies catholiques. Certes l’homme qui avait si admirablement montré l’influence de la religion dans les sociétés primitives, l’homme qui avait recherché avec tant de science et tant de talent l’origine de nos institutions, avait plus qu’aucun autre le droit de se laisser influencer par des considérations purement historiques, et pouvait être reconnaissant à la religion de ce qu’elle avait fait pour nous, de ce que nous avions fait pour elle. Mais une généralisation de ce fait ne paraît ni possible, ni désirable. Il ne faut pas oublier que nous ne devons pas accepter en général nos croyances pour des raisons historiques, ni pour des raisons de famille ou de milieu, abstraction faite de leur vérité ; une pareille acceptation d’ailleurs ne satisferait ni les incrédules ni les croyants, et si en quelques cas elle est excusable ou louable, elle est assez souvent inspirée non par des sentiments élevés, comme dans le cas que nous citions tout à l’heure, mais par des sentiments d’égoïsme,