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trouver la parole décisive, le mot excitateur, pour faire jaillir l’étincelle.

Ces conditions, nous les avons indiquées, c’est l’état d’esprit dominant pendant la seconde moitié du xixe siècle, la persistance des tendances froissées, la force de quelques-unes d’entre elles et de quelques-unes aussi de celles que les circonstances, raveuglement de quelques hommes, l’imprévoyance ou l’étroitesse de quelques autres leur avaient opposées. Les esprits initiateurs, nous en avons vu un grand nombre, les paroles prononcées, nous les avons rappelées, et nous avons vu que partout elles convergeaient vers des résultats généraux sensiblement concordants. Le succès possible de ces paroles enfin, nous l’avons entrevu, nous l’avons vu clairement dans le succès de certains ouvrages, dans la force et la diffusion de certains courants d’idées et de désirs, dans la nature des luttes et des discussions provoquées. Il semble donc bien que le nouvel esprit qui se forme soit en bonne voie pour se développer, s’organiser, croître et dominer à son tour, il paraît devoir être une sorte de synthèse de science spéculative et de foi active, de besoin de savoir et de besoin d’aimer, de respecter et de craindre, du sentiment aussi de la nécessité d’ignorer encore de vastes parties de l’univers, sentiment à la fois de désir et de trouble, d’anxiété et de crainte devant cet immense inconnu qui nous entoure. Parmi les tendances qu’il devra unir, les unes sont empruntées à l’esprit dominant pendant la période intellectuelle précédente, d’autres au contraire remontent à des périodes plus éloignées et avaient été plus ou moins opprimées depuis. Le contraste, en sociologie, est complexe, et, lorsqu’il s’agit d’esprits en évolution, l’état nouveau est, non pas une simple réaction, mais une combinaison de réactions diverses, d’actions qui se continuent, de nouveaux sentiments et de nouvelles idées aboutissant à un composé plus riche et mieux systématisé.

III

Après avoir constaté et interprété les faits, il faut tâcher de les apprécier. De ce qu’un mouvement intellectuel et moral se produit fatalement, il ne faut pas conclure qu’il soit bon ou qu’il soit mauvais ; il peut être l’un ou l’autre, il est probable qu’il est l’un et l’autre à la fois à différents égards. En tout cas, le courant risque de dévier, de déborder sur tel ou tel point. Chacun a le devoir d’apporter sa pierre aux digues qui le contiendront, aucun effort n’est absolument vain dans ce monde où tous les faits réagissent indéfiniment les uns sur les autres.