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fr. paulhan. — le nouveau mysticisme

loppé chez tout le monde. Si l’esprit positif et scientifique, individualiste et irréligieux a régné un moment, cela ne veut pas dire qu’il n’y eût plus de rêveurs, de socialistes ou de croyants, cela veut dire simplement que cet esprit était celui des hommes de talent, des initiateurs les plus écoutés, les plus suivis, et surtout que l’orientation générale des âmes et, par suite, des actes individuels ou sociaux se faisait en ce sens. De même, il reste et il restera toujours des sceptiques, des gens d’un bon sens terre à terre et des matérialistes convaincus, mais il me semble que l’orientation générale change. Les raisons je n’ai pu les trouver que chez les écrivains et les hommes en vue, mais ces écrivains n’écriraient pas ainsi ou n’écriraient plus, ces hommes n’agiraient pas comme ils le font s’ils ne se sentaient pas soutenus par la foule qui les voit, les lit ou les écoute. Une tendance de portée sociale ne se manifeste pas chez une seule personne à la fois ; le plus souvent, si elle existe à l’état conscient chez un homme, c’est qu’elle existe à l’état inconscient, à l’état latent, à l’état partiel, chez plusieurs milliers d’autres.

Et chez ces autres, l’imitation la développe bientôt. M. Tarde nous a montré récemment quelle était la puissance de ce procédé social. Sans doute, il faut que le terrain soit préparé pour qu’elle puisse agir. On pourrait faire indéfiniment des opérations algébriques chez un peuple qui n’a pas pu s’élever à compter plus loin que dix sans se faire réellement imiter, mais, dans une société préparée, l’acte initiateur des hommes de talent qui formulent les premiers une idée, qui expriment un sentiment, est réellement l’étincelle qui met le feu aux poudres. En même temps que l’imitation, se produit une sorte d’accommodation spontanée qui adapte aux nouvelles idées ceux mêmes qui les ignorent et ceux mêmes qui les combattent ; ceci est un fait social dont l’importance ne saurait être estimée trop haut. Il ne faut pas non plus exagérer la distance qui sépare les hommes, le savant de l’artiste, le socialiste du poète. D’un monde à l’autre, les passages sont nombreux ; outre l’accord spontané qui provient de la ressemblance des conditions sociales générales auxquelles les uns et les autres sont soumis, il se produit des rapprochements individuels, des influences souvent inaperçues mais réelles, qui régularisent les actions et permettent à l’imitation de passer d’une partie à l’autre de la société, et qui laissent se produire les généralisations et les coordinations des sentiments, des désirs, des idées qui se manifestent isolément et que les nombreux points de contact déterminés par notre mode de groupement social rapprocheront facilement, pourvu que les conditions sociales soient favorables et qu’il se trouve quelques hommes supérieurs pour