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fr. paulhan. — le nouveau mysticisme

rallié dans une même foi et dans une même espérance des millions d’hommes de tous pays et de toutes langues, Anglais, Italiens, Allemands, Américains ou même Russes, témoin ce Russe de Kharkof, Nicolas Balline, qui écrivait aux coopérateurs français, réunis à Tours cet automne, dans une lettre que je lus pour lui au milieu d’un auditoire ému jusqu’aux larmes : « Je suis heureux de penser que, « Français ou Russes, nous voyons dans la coopération le même idéal, de même que je suis heureux de penser, quand je regarde une étoile, que mon frère de loin, la regarde aussi ! » Une étoile, c’est le mot ; non point une boutique, mais une étoile vers laquelle des millions d’hommes ont levé les yeux pour chercher le mot de l’énigme sociale, et qui, si elle n’a pas encore révélé son secret, a lu moins fait descendre d’en haut dans plus d’un cœur ulcéré ce rayon d’or qui s’appelle l’espérance. » On a reproché à cette école ce qu’on a appelé son mysticisme. Cette critique ne porterait qu’en tant qu’il serait établi que ce mysticisme lui fait mal apprécier la réalité, mais elle ne repousse aucun des moyens scientifiques d’observation, aucune des manières scientifiques de raisonner. Il y a certes des raisons de recommander la froideur dans l’observation et dans le raisonnement ; cependant, il ne faut pas oublier que, si l’objectif de nos recherches nous laissait complètement indifférents, nous ne ferions pas ces recherches, et que, si le résultat ne nous importait en rien, nous ne trouverions pas ce résultat. Autant que la froideur de la recherche, l’émotion qui la précède et l’émotion qui la soutient et l’émotion qui la suit sont désirables, au moins dans l’état actuel de l’humanité ; et c’est encore un signe de l’état de l’âme moderne que cette recherche des grands résultats jointe à l’emploi des moyens les plus minutieux, ce mélange de réalisme pratique et d’idéalisme sans limites, de science et d’émotion, de mysticisme, si l’on veut, qui se révèle au moins dans certaines formes du mouvement social.

Ainsi le besoin de science et le besoin d’idéal nous paraissent être les deux tendances générales qui se retrouvent dans toutes les formes diverses de l’esprit nouveau. Le besoin de science n’est pas une nouveauté, il est emprunté à l’état psychologique qui a immédiatement précédé celui qui est en train de se former, le besoin d’idéal est plus ancien encore, éclipsé quelque temps, amoindri, non disparu — il ne saurait l’être — il se réveille aujourd’hui aussi vivace, semble-t-il, qu’il l’a jamais été ; une sorte de mysticisme scientifique paraît en voie de formation.

Du reste, l’ensemble des tendances que j’ai signalées est encore incohérent. Les chercheurs, d’un domaine de la pensée à l’autre,