Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
508
revue philosophique

autrement forte. C’est que les intérêts qui pouvaient être froissés n’étaient pas ici des intérêts spéculatifs, de ces tendances qui protestent faiblement quand on les gêne. Il s’agissait sinon de la vie, au moins de la vie acceptable pour des hommes dont la civilisation a multiplié les besoins sans leur donner toujours les moyens de les satisfaire, des désirs inhérents à tout homme d’un certain développement dans notre état social. Les différentes écoles qui se sont formées ont sans doute la prétention d’être des écoles scientifiques ; plus que jamais, les faits sont recherchés, classés, décomposés, analysés ; plus que jamais les lois scientifiques sont rigoureusement établies, mais plus que jamais aussi, on sent le besoin de ne pas considérer les faits et les lois au seul point de vue de la théorie, mais de les envisager aussi au point de vue de l’action ; on est prêt à les accepter comme des réalités données, mais c’est surtout pour s’en servir afin de diriger, de créer la réalité future ; de déterminer de nouveaux faits, de susciter la formation de nouvelles lois. Il faut apprendre, en science, en philosophie, à comprendre ce qu’il y a d’immuable, mais aussi ce qu’il y a de mobile et de périssable dans cet ensemble d’abstractions et de faits généraux qu’on appelle les lois naturelles. La science sociale est une de celles qui suggèrent le plus d’idées justes à cet égard.

La nature des questions détermine jusqu’à un certain point, la forme de leur étude. Il ne faut pas chercher dans le mouvement socialiste des subtilités, des élégances, des raffinements, dans le genre de ceux du symbolisme. Mais un certain mysticisme y est assez fréquent, on en trouverait un exemple dans le nom donné à la fameuse loi d’airain et surtout dans la fortune de ce mot, fortune à laquelle n’est pas étranger ce sentiment de l’immense, de l’inconnu, du divin, que nous avons signalé ailleurs. Mais on en trouve d’autres dans les idées, les aspirations, qui guident quelques-uns des hommes qui tachent de trouver et de faire accepter des solutions pacifiques et rêvent l’organisation de la société sur un nouveau plan. Je signalerai à cet égard l’école qui voit dans la généralisation de la coopération le moyen d’arriver à la refonte de l’organisme social. La coopération était signalée jadis dans les traités d’économie politique comme un moyen d’arriver à quelques résultats avantageux, mais restreints. « Si la coopération, dit un représentant de la nouvelle école[1], n’avait d’autre but ni d’autre avenir que de créer quelques boutiques d’épicerie perfectionnées on quelque mécanisme d’épargne plus ou moins ingénieux, je vous prie de croire qu’elle n’aurait pas

  1. M. Ch. Gide, Conférences.