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fr. paulhan. — le nouveau mysticisme

monde. Rien n’est plus opposé que cette manière de voir à la théorie de l’art pour l’art ou à celle de l’art pour les artistes qui ont eu trop de faveur, mais il serait injuste d’y vouloir reconnaître les anciens errements sur l’art moralisateur ou l’utilitarisme appliqué à la littérature. C’est à cette préoccupation de M. Brunetière qu’on peut rapporter sa prédilection marquée pour le xviie siècle, son antipathie pour les romanciers de l’école naturaliste française, même pour ceux — je devrais dire peut-être pour celui — dont il a pleinement reconnu le talent, sa sympathie pour le naturalisme anglais de George Eliot, ses mots « qu’est-ce qu’aimer l’art sans aimer l’homme ? » et c’est le même sentiment qui lui a fait prendre la défense des études latines, qui lui fait enregistrer avec plaisir rentrée d’une science particulière dans la littérature, la philosophie avec Descartes, la théologie avec Pascal, l’histoire naturelle avec Buffon, c’est-à-dire l’entrée dans le domaine de l’humanité de ce qui n’appartenait qu’à quelques-uns, qui lui fait aussi craindre par-dessus tout ce qu’il appelle lui-même « la déshumanisation d’une âme » ; c’est par cette préoccupation aussi qu’il se sépare du courant d’idées contre lequel se produit une réaction et qu’il se rattache à l’ensemble de sentiments et de théories que je tâche de montrer. Il appartient encore à l’esprit nouveau par ce qui se retrouve dans cet esprit comme dans celui qui l’a précédé : le goût des connaissances nombreuses, précises et sûres, et l’ouverture de l’intelligence qui offre chez lui un contraste assez peu commun, mais explicable avec un goût littéraire difficile.

Nous retrouvons cette idée de la solidarité humaine et de son importance, cette vision de la nécessité d’unir les hommes étroitement, de coordonner leurs rapports, autant que faire se peut, dans un domaine différent, celui de l’économie politique. Ici il ne s’agit plus seulement de théories. La disproportion immense entre l’accroissement des besoins et celui des moyens de les satisfaire, le contraste de fortunes énormes et de misères nombreuses, la disparition des idées, des sentiments, des faits qui pouvaient légitimer ou faire paraître légitime ce contraste, empêcher de le voir ou empêcher de le sentir, ont créé de redoutables problèmes dont la solution semble s’imposer davantage à mesure qu’elle devient plus difficile. Le mouvement à mille formes qu’on désigne sous le nom de socialisme et dont le but est une répartition plus équitable de la richesse, nous présente actuellement, sur bien des points, des phénomènes indiquant une évolution analogue à celle que nous avons signalée à propos d’autres idées. Mais ici la réaction contre la science froide et l’individualisme excessif a été autrement précise et