Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/52

Cette page n’a pas encore été corrigée


LA FOLIE DE J.-J. ROUSSEAU


« À force d’écrire sur Rousseau, dit quelque part Sainte-Beuve, on finit par l’alambiquer terriblement et le mettre à la torture. » M. Brunetière a probablement voulu simplifier cette critique alambiquée, en nous donnant de la vie et des ouvrages de Rousseau une formule brève et intelligible. Dans un article récent[1], il insiste sur la folie de ce grand homme : il insinue que cette maladie a éclaté chez lui de bonne heure et l’a tourmenté presque toute sa vie. Il ajoute qu’heureusement « son délire opérait dans le sens de son talent ou de son génie », mais qu’en retour on peut rendre a la qualité de son génie solidaire de l’exaltation » d’où sa folie découla. Ainsi, Rousseau a été fou, il ne l’a pas été seulement dans ses derniers jours, il l’a été dans tout le cours de son existence ; mais son génie et sa folie se sont accordés de telle sorte que ce que son imagination malade rêvait d’impossible et d’insensé, son génie l’embellissait… Cette explication pathologique et littéraire diminue-t-elle la subtilité dont se plaignait Sainte-Beuve ou l’aggrave-t-elle ? C’est là une question que plus d’un lecteur de la Revue des Deux Mondes a dû se poser.

On en dira de même de certains fragments d’une intéressante publication où M. John Grand-Carteret nous montre Rousseau jugé par les Français d’aujourd’hui[2]. Il y a des choses bien contradictoires dans ces jugements, il y a aussi des choses bien nouvelles. Un médecin, par exemple prétend nous démontrer que Rousseau n’a pas mis ses enfants à l’hôpital, pour cette raison décisive qu’il n’a jamais avoir d’enfants. Et pourquoi n’a-t-il pas dû avoir d’enfants ? Pour cette raison, décisive également, si elle est vraie, qu’il était physiquement hors d’état d’en avoir. Ici le docteur lettré use des privilèges de son titre. Il fait le diagnostic et le pronostic des infirmités de Rousseau, d’après les symptômes décrits dans les

  1. Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1890.
  2. Paris, Perrier 1890, 1 vol.  in-16.