Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/519

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
505
fr. paulhan. — le nouveau mysticisme

mêmes peut devenir ainsi plus mystérieuse, moins connue, même pour nous, que nous pouvons en attendre davantage et autre chose ; si, en tout cas, pour l’intelligence, l’idée restait la même, elle n’était plus la même pour le sentiment. Voiler ce que l’on sait, c’est aussi le rattacher à ce que l’on ignore, et par là créer un lien entre soi et l’inconnu. Au crépuscule, les objets même familiers prennent des apparences étranges. Toutes ces raisons, un peu subtiles mais réelles, expliquent l’intérêt que peut prendre, à notre point de vue, le mouvement symboliste[1].

Il ne faut pas s’attendre à trouver dans la critique littéraire les renseignements sur l’état des esprits que la littérature nous offre ; la critique s’exerce sur des œuvres faites, par conséquent, d’une manière générale, le mouvement des idées y doit suivre plutôt que devancer celui de l’œuvre littéraire. Cependant l’allure de la critique est un signe souvent moins précis mais très sérieux, de certaines tendances générales, l’œuvre du critique étant plus réfléchie, plus raisonnée, que celle du littérateur. J’ai déjà eu à parler des articles où M. Melchior de Vogüé a présenté au public français le roman russe, mais M. Melchior de Vogüé n’est pas précisément un critique. Il aime surtout à retrouver chez les autres l’expression de certaines idées et de certains sentiments, il les fait sortir des ouvrages des romanciers comme il les fait sortir des événements qui se déroulent sous ses yeux, des romans de Tolstoï et de Dostoiewski comme de l’Exposition universelle. Examinons l’œuvre des auteurs dont la critique littéraire est le but principal.

Ils sont deux en France, M. Brunetière et M. Lemaître, qui se sont partagé, depuis une dizaine d’années, la faveur du public. Et si je dis ici que, des deux, c’est M. Brunetière qui me paraît le plus « moderne », et celui chez qui je retrouve le plus les tendances que j’étudie ici, peut-être ne voudra-t-on pas me croule. Je le dirai pourtant parce que c’est mon avis et parce que je pense pouvoir l’appuyer de bonnes raisons.

La critique a trouvé aussi sa période de naturalisme, pour ainsi dire. Sainte-Beuve établit une transition entre la période précédente et celle-là, il portait des jugements, comme ses devanciers, mais

  1. À propos des arts divers on aurait à faire des remarques semblables à celles que nous suggère la littérature. Je rappelle à cet égard le succès de la musique de Wagner et de la peinture de M. Puvis de Chavannes. M. Melchior de Vogüé, en signalant l’enthousiasme excité récemment par l’Angelus de Millet, et le succès des Bretonnes au pardon de M. Dagnand-Bouveret, dit que « dans l’un et l’autre cas » le public « acclamait le « Tableau de sainteté » tel qu’il nous le faut aujourd’hui, la représentation discrète d’une émotion religieuse dans les âmes simples. » (Remarques sur l’exposition du Centenaire, p. 263)