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peut trouver qu’ils le satisfont trop. L’évolutionnisme, le matérialisme, le positivisme scientifique avaient fait un monde trop simple, trop intelligible et en même temps trop peu satisfaisant. Si les choses étaient réellement comme on nous les a montrées, ce monde paraissait un peu plat à l’intelligence, un peu sec au sentiment. Pour l’apprécier, pour s’y intéresser, il fallait non pas s’en tenir aux grandes lignes, mais approfondir une science, s’attacher à un ordre de faits et le pénétrer aussi bien que possible. La multiplicité, la variété des phénomènes, les applications infiniment nombreuses et complexes d’une loi générale font oublier ce que cette loi peut avoir de sévère et de monotone. Mais tout le monde n’a pas le goût et la possibilité de devenir un savant. D’un autre côté, notre science est bien incomplète encore, l’homme lui-même peut être considéré comme une ébauche mal dégrossie, et il y a en lui plus de possibilités d’idées et de sentiments que la science naissante n’en peut développer. De là le désir de trouver au monde un dessous, de réserver un vaste inconnaissable, dont on ne peut rien dire, mais qui nous, laisse croire que nous trouverons en lui de quoi satisfaire ce que la science ne satisfait pas en nous, au point de vue intellectuel et au point de vue moral. Les inconnaissables de Spencer et de Littré, conceptions trop négatives pour les esprits religieux, trop affirmatives ou erronées pour les esprits scientifiques, trop vagues et trop arrêtées à la fois, répondaient, mais répondaient mal, à certains besoins de l’âme humaine.

Ces besoins paraissent se développer. On s’est plu à trouver en tout de l’infini ; à chercher, à supposer des dessous, des profondeurs. Les choses les plus simples ont dû cacher des mystères. On en est venu à préférer la suggestion à l’affirmation, et plus la suggestion était difficile, plus la profondeur paraissait grande ; on a transposé l’expression des sensations et des sentiments ; on a voilé les idées ; inversement, on a trouvé des effets étranges dans certains arrangements de syllabes, les lettres elles-mêmes sont devenues des symboles, dont la signification même variait d’une personne à l’autre, mais c’est là, sans doute, une obscurité et un charme de plus. On vient, par un détour, à des procédés analogues à ceux des peuples relativement primitifs qui, ont exprimé des cosmogonies par des contes ou des initiés, des alchimistes qui exprimaient analogiquement leurs idées, voilaient une doctrine philosophique ou une opération alchimique sous des mots détournés de leur sens, d’après un procédé plus ou moins précis et que seuls les initiés pouvaient comprendre. Il y a d’ailleurs, en tout cela, une grande part d’illusion, souvent d’illusion voulue, souvent d’illusion naïve ; il semble qu’une idée que nous avons voilée nous-