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remarquer justement le caractère de sympathie dont est empreint le roman anglais et le mettait en opposition avec le naturalisme français. Mais des raisons sérieuses semblent expliquer et justifier dans une large mesure la préférence accordée aux Russes. Pour écarter les considérations secondaires, la sympathie, le sentiment de solidarité, l’humanité, paraissent s’appuyer chez eux sur des raisons plus philosophiques, plus religieuses, plus profondes et surtout peut-être senties avec plus de force, ou exprimées avec un sentiment plus douloureux, et qui, par cela même, devait paraître plus puissant.

Plusieurs œuvres de genres très divers, et de tendances différentes sont aussi « des signes du temps : » tels sont les romans de M. Joséphin Péladan, où l’auteur, qui rappelle un peu Barbey d’Aurevilly, mais dont l’originalité est indéniable, analyse, dans un style souvent magnifique, avec une grande abondance d’idées, les mœurs de ce qu’il appelle la décadence latine, et se réclame à la fois du catholicisme et des sciences occultes ; les œuvres de M. Edouard Rod, principalement le Sens de la vie, et enfin un roman dont le succès a retenti jusqu’à l’Académie des sciences morales et politiques, le Disciple de M. Paul Bourget. L’auteur avait commencé aussi par étudier la décadence en psychologue, mais surtout en littérateur. Après s’être intéressé aux idées dominantes, il a voulu réagir contre elles. On sait le sujet de son livre : il s’agit de l’influence du système philosophique sur la direction de la vie, d’un vieux philosophe, brave homme indifférent à tout ce qui n’est pas sa science, dont l’élève commet, conformément aux conséquences qu’il tire des enseignements de son maître, une mauvaise action, que, malheureusement, il aurait pu tout aussi bien commettre, étant donnée la nature que l’auteur lui donne, s’il n’avait jamais entendu parler d’Adrien Sixte. L’idée de la responsabilité des philosophes à l’égard des conséquences de leur doctrine, exposée ou plutôt suggérée avec un talent fin et pénétrant, fut aussitôt mise en discussion un peu partout. Sans vouloir étudier ici le fond de la question, je dirai que je ne vois pas bien pourquoi un philosophe ne serait pas responsable des conséquences logiques de ses opinions. Ne lui en rapporterions-nous pas l’honneur si elles sont bonnes ? Pourquoi donc ne l’en blâmerions-nous pas si elles sont mauvaises ? C’est à lui de voir, avant d’émettre une idée, — et à ceux qui la vulgarisent avant de la répandre dans tel ou tel milieu, — s’il veut accepter les conséquences de sa théorie, quelles qu’elles soient, et, s’il est pessimiste convaincu, il pourra se faire un mérite d’amener des catastrophes. Mais ce que nous retiendrons surtout, c’est que le problème qui s’est posé intéresse au plus haut point notre sentiment de la solidarité