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fr. paulhan. — le nouveau mysticisme

plus de justesse, je citerai M. de Roberty. En somme le problème de l’Inconnaissable est un problème mal posé, comme la plupart des problèmes que l’on voudra résoudre avant le temps. Une doctrine philosophique, si large qu’on veuille la faire, sera certainement trop étroite un jour pour peu qu’on veuille la préciser et surtout la fermer ; la prétention de déterminer l’Inconnaissable n’est pas moins grande ni plus justifiée que celle d’embrasser dans une vaste synthèse tout ce qui peut être connu. Pour toutes ces raisons l’évolutionnisme devait, tout en laissant de grandes idées, se montrer impuissant à suffire à la direction des esprits. Si le succès des Premiers Principes et des Principes de Psychologie ne s’est pas étendu complètement aux Principes de sociologie et à la partie parue de la Morale, c’est aux défauts pratiques du système qu’il faut l’attribuer sans doute, mais aussi à son insuffisance théorique.

À côté de l’évolutionnisme et du positivisme, contre eux, une autre doctrine s’est élevée, le néo-criticisme ; elle aussi a eu son influence, elle la conserve encore en grande partie, je pense, bien que la Revue qui la présentait au public ait cessé de paraître. Une part de son succès revient sans nul doute à la vigueur d’esprit, à la force d’analyse et de raisonnement de M. Renouvier, au talent d’exposition, à la rectitude de M. Pillon ; une part importante est due aussi à ce qu’elle a essayé de réaliser la synthèse de l’homme et du monde en donnant à l’homme le rôle prépondérant. Pour elle tout se ramène à l’esprit, l’esprit impose ses lois au monde ; par la théorie de la croyance libre comme par celle de la volonté libre, on peut presque dire que l’esprit fait le monde, il le crée en quelque sorte en croyant et en agissant. Si, en combattant le culte exclusif de la science mal comprise d’après eux, les criticistes allaient contre un courant puissant, ils s’aidaient des forces de réaction dont nous avons signalé la nature et par l’importance donnée à la morale, par la lutte qu’ils entreprenaient d’un autre côté contre le catholicisme, par leurs doctrines politiques, ils répondaient à des besoins intellectuels ou affectifs très divers plus ou moins sentis, plus ou moins intenses, mais réels et puissants, et, si sur quelques points ils étaient en opposition avec les tendances dominantes, par beaucoup d’autres ils étaient pleinement d’accord avec elles. Une de leurs erreurs a peut-être été de s’allier trop étroitement, à un moment donné, avec une religion positive, un certain excès d’individualisme a pu nuire aussi au développement de la théorie, mais une des faiblesses de la doctrine, c’est certainement la difficulté de soutenir et de faire vivre la théorie du libre arbitre et surtout les conséquences qu’on a cru pouvoir en tirer et qu’il est encore plus difficile de