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fr. paulhan. — le nouveau mysticisme

entrer dans cet ordre et même de faire admettre des croyances, des façons de se représenter les choses qui n’ont rien de bien scientifique, mais qui répondent à nos besoins. Je ne pense pas au reste que le positivisme religieux, qui mérite plus de considération qu’on ne lui en accorde depuis Littré et Stuart Mill, recrute des prosélytes bien nombreux, mais il continue à vivre, et en somme il a eu moins d’éclat, mais plus de durée que l’école purement scientifique, rendue un moment populaire par les travaux de Littré. Actuellement ni l’une ni l’autre doctrine ne paraît de nature à nous satisfaire. Le positivisme scientifique nous paraît à la fois trop peu scientifique, trop peu prouvé dans plusieurs de ses conclusions, trop arrêté, trop précis aussi. Le positivisme religieux a des défauts analogues, ce qui n’est pas surprenant : c’étaient les défauts de l’esprit d’Auguste Comte. Ce grand organisateur faisait des cadres trop rigides, trop nombreux, trop étroits, pour contenir tout ce que l’homme peut sentir ou connaître. Mais si ni l’une ni l’autre des formes que sa doctrine a prises ne paraît devoir définitivement triompher, l’une et l’autre laisseront des traces fécondes. À bien des égards, Comte est un précurseur dont le tort a été de vouloir faire du définitif.

Le succès de la théorie de l’évolution donne lieu à des considérations analogues, ainsi que son déclin. La philosophie de M. Herbert Spencer est très connue chez nous et très appréciée. Peut-être est-elle un peu moins en faveur depuis quelque temps. Ce qui l’a fait triompher, c’est sans doute les qualités du philosophe anglais, la puissance de la généralisation, l’ampleur des vues, l’étendue des connaissances, l’ingéniosité des détails ; c’était aussi la simplicité de la formule à laquelle le monde entier se laissait ramener, un peu péniblement parfois. Du reste, il ne faut pas s’imaginer que le succès de la philosophie évolutionniste fut absolument le triomphe de l’esprit scientifique. Sans doute on était charmé d’avoir un système du monde qui prétendît ne s’appuyer que sur l’expérience et le raisonnement scientifique, mais on était charmé surtout d’avoir un système du monde et comme il ne péchait pas par où péchaient les croyances religieuses que l’on venait de rejeter ou qui étaient au moins bien ébranlées, on l’acceptait malgré ses imperfections, malgré les nombreuses hypothèses qu’il nécessitait, malgré le manque de rigueur et de précision de certaines de ses parties, on l’acceptait parce qu’il venait remplir une place vide, qui ne pouvait rester vide. Malheureusement, sur un point le système a failli ; il suffisait tant bien que mal à la théorie, il n’a pu suffire à la pratique ; il avait systématisé nos connaissances, on pouvait du moins l’admettre à la rigueur, mais il