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et courir la chance de se faire suivre ; d’autres, indifférents en apparence, n’attendent qu’un changement d’orientation, qu’une occasion favorable, une parole dite à propos, pour célébrer la doctrine d’hier qui ressuscitera demain en partie. Si nous ajoutons que la réaction est très légitime par certains côtés, qu’elle donne satisfaction à des sentiments importants gênés ou froissés et qu’il se trouve toujours des esprits prêts à prendre l’initiative d’un changement de direction et qui penchent volontiers, pour rétablir l’équilibre, en sens inverse du parti qui triomphe, il n’y a pas doute qu’un ensemble d’idées, comme celui qui a eu une si grande faveur auprès du public pendant un temps assez long, doive déterminer un mouvement de réaction dont la forme devra varier selon que telle ou telle des forces qui le produisent se trouvera momentanément plus puissante, selon la part aussi des idées régnantes qui pourra se trouver incorporée à la nouvelle doctrine ; et nous voyons en fait depuis quelques années des signes non équivoques de la formation d’un esprit nouveau qui s’oppose sur bien des points à celui qui la précédé. Ce nouvel esprit n’en sera pas moins une combinaison des dernières croyances régnantes et des anciennes croyances plus ou moins évincées, mais encore résistantes, c’est cette synthèse qui lui donne son caractère de nouveauté.

C’est que, en effet, la réaction n’est qu’une partie du phénomène, et peut-être pas la plus considérable. L’ancien état d’esprit ne revient pas. Si nous examinons même le contraste simultané dans la vie sociale, nous voyons que chaque doctrine en s’opposant à une autre et en se fortifiant par cette lutte, change, se développe et se transforme le plus souvent parallèlement aux progrès de la doctrine ennemie. De même dans le contraste successif. Mais ici, outre cette cause de changement il y en a une plus importante, c’est que non seulement des sentiments comprimés reprennent de la force et se transforment en se développant, mais encore ils s’associent avec une foule d’autres sentiments, de croyances, de tendances diverses avec qui ils n’avaient point été en contact ou avec qui ils auront, à la faveur de nouvelles circonstances, des rapports tout autres que ceux qu’ils avaient eus jusqu’à présent. Nous allons voir les uns après les autres ces divers courants d’idées qui paraissent devoir s’unir en un composé nouveau, alors même que quelques-uns des hommes qui les représentent, se combattent ou même s’ignorent. Les éléments de la combinaison nouvelle naissent ou se forment en eux, ils se répandent au loin et se modifient ensuite pour s’unir en d’autres esprits.